LE SANG DES FEMMES
Si le sang est la plus ancienne marque connue dans la signalisation du Tabou, c’est parce que le Tabou du sexe se justifie avant tout par le Tabou du meurtre : l’agression (sexuelle ou autre) fait couler le sang, elle menace la vie et par conséquent, le groupe social. On utilise donc le sang, ou le rouge qui le rappelle, pour enduire ou marquer les personnes tabou et permettre aux autres de s’en tenir à distance : comme la marque rouge sur le front des Indiennes. Les dépôts d’ocre rouge existant en Australie, sont réputés provenir du sang écoulé de la vulve des femmes à l’origine des temps; ce qui montre le lien entre les femmes et le Tabou chez ces aborigènes. Ainsi la peinture rouge ou le signe rouge ou l’objet rouge, représentation symbolique du sang, en sont venus à signaler le Tabou et par conséquent le danger (en cas de transgression). Ne nous arrêtons-nous pas au feu rouge ?
Dans les sociétés traditionnelles, ce sont plutôt les femmes qui arborent ces marques de Tabou. On doit bien constater en fait que l’homme n’est pas atteint immédiatement et directement par la transgression; seule les femmes (et les enfants) en sont affectés : l’effraction, la violence, le viol les visent elles, et les atteignent, elles. Il semble donc logique qu’elles se signalent elles-mêmes comme personnes tabou.
Le Tabou ne doit d’ailleurs pas être posé par l’homme : cela le délégitimerait du fait de la possibilité pour l’-homme de faire usage de sa force; il ne peut être posé que par la femme, légitimée par sa vulnérabilité, son impossibilité et/ou son refus de recourir à la force. On lit pourtant toujours et partout que ce furent les hommes qui édictèrent les Tabous ! « Les frères, s’ils voulaient vivre ensemble n’avaient qu’un seul parti à prendre : instituer l’interdiction de l’inceste par laquelle ils renonçaient à la possession des femmes convoitées, alors que c’était principalement pour s’assurer cette possession qu’ils avaient tué le père.”
Cette inférence personnelle de Freud et le non-sens auquel il conduit ne le gêne nullement et serait comique s’il n’était tenu pour un dogme.
Ethnologues et psychologues masculins sont tous intimement persuadés que ce sont les hommes qui ont édicté les Tabous ! Freud, s’appuyant pourtant sur les études de Frazer et ses descriptions de sociétés matrilinéaires, illustre parfaitement cette inconséquence : « Ces prohibitions se sont maintenues de génération en génération, transmises par l’autorité paternelle et sociale. »
Lévi-Strauss de son côté, désigne implicitement les hommes comme auteurs/sujets de la proclamation du Tabou; il voit en effet dans le Tabou non pas « l’interdit d’épouser mère, sœur ou fille, mais l’obligation de donner mère, sœur ou fille à autrui » posant par là même incidemment l’homme en naturel possesseur des femmes, objets de ce fameux « échange des femmes ». Cette remarque fait toutefois apparaître un aspect sous-jacent : c’est aux hommes que s’adresse le message du Tabou !
Cette évidence est flagrante dans la littérature ethnologique : mais aussi, comment ne pas la lire dans les faits ? Elle va donc dans le même sens que le conte. Les descriptions ethnologiques et légendaires désignent l’homme comme destinataire du Tabou et seul coupable potentiel de le transgression; c’est l’homme, nous dit Freud, qui ne doit pas approcher « sa mère, sa sœur, sa fille, une femme menstruée, une femme accouchée, un nouveau-né, un malade, un mort. » La femme au contraire peut, et même doit, approcher tous ces gens-là. Il va donc de soi que c’est l’homme qui est visé par le Tabou. L’homme peut-il donc être et l’émetteur et le récepteur du message essentiel qu’est le Tabou ?
Comment se fait-il qu’aucun ethnologue ait jamais imaginé que le Tabou pouvait être proféré par les femmes, comme le fait Mélusine ? Freud remarque d’ailleurs la rareté du Tabou concernant les hommes : « Le Tabou des hommes est limité à des conditions exceptionnelles; c’est ainsi que les adolescents sont tabous pendant la célébration de leur maturité. Les femmes le sont pendant la menstruation et immédiatement après les couches; sont encore tabous les enfants nouveau-nés, les malades et les morts » c’est-à-dire les personnes les plus vulnérables, tabou pour les hommes seulement, bien entendu, car ces personnes ont plus que tout autre besoin des soins et du dévouement des femmes ! La réflexion philosophique ne s’y trompe pas.
« L’interdit découle d’un danger objectivement repérable, le point de vue est celui de la victime. » Le misogyne cherchant des arguments à tous les râteliers se montre d’accord sur l’édiction féminine du Tabou : « Dès que les femmes avaient leurs règles, elles cessaient d’être de bonnes partenaires sexuelles, car on avait constaté que dans la majorité des cas elles devenaient bizarres. Elles refusaient tout rapport avec les hommes pendant leurs règles et au cours des complications dues à la grossesse et à l’allaitement. Cet état terrifiant de Tabou fut initialement établi par le noli me tangere des femmes pendant cette phase de leur indisponibilité sexuelle.
EXTRAIT DE MELUSINE OU L’ELIMINATION DES TABOUS – de A g n è s E c h è n e

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