LE SUCCES DE MELUSINE
Dans le temps d’avant le temps, on raconte bien des histoires de belles dames rencontrées au bord des fontaines, près des sources ou des lacs. En réponse aux princes ou aux bergers qui les demandent en mariage, elles exigent des serments : qu’ils ne les voient pas nues, qu’ils ne les frappent pas, même légèrement, qu’ils ne les insultent pas, qu’ils les laissent à leur solitude lors de leurs couches, ou un jour par semaine … Sûrs que leur amour est plus fort que tout, ils jurent, sans hésiter un seul instant. Mais un jour, par étourderie, jalousie ou simple négligence, ils violent leur serment. Alors la femme aimée disparaît ; et elle emporte avec elles le bonheur et la fortune.
La plus célèbre de ces légendes est celle de Mélusine. Elle est connue de l’Europe entière, voire de tout l’espace indo-européen puisqu’on lui trouve des homologues jusque en Inde avec la déesse Miluschi. Pour se concentrer sur la figure de la Mélusine occidentale, précisons qu’elle est familière à l’Europe entière ; depuis des temps très anciens dans sa version orale dont nous avons un premier écho en 1188 avec Geoffroy d’Auxerre, puis en 1200 avec Gautier Map, 1210 avec Gervais de Tilbury : tous trois rapportent des légendes de la même structure que celle de Mélusine; mais c’est en 1300 avec le moine bénédictin Pierre Bercheure, prieur de l’Abbaye de Saint Eloi, que l’on a la première relation à propos de la forteresse de Lusignan et de la dame qui la construisit.
La Légende de Mélusine est connue dans sa version écrite en France grâce à Jehan d’Arras et son “Roman de Mélusine” composé en 1392 à la demande de Jean de Berry pour magnifier sa famille; puis avec le récit en vers de Couldrette écrit en 1402 à la demande de Jean II, seigneur de Parthenay, “Mellusine ou le roman de Lusignan”, qui retrace la généalogie de son illustre famille; du XVè siècle date la traduction en alémanique par Thüring von Ringoltingen du texte de Couldrette.
Dès lors, Mélusine est célèbre dans toute l’Europe orientale et septentrionale; au XVIè siècle, la traduction en anglais des romans de Jehan d’Arras et Couldrette connaît de nombreuses éditions; en 1579 le roman est traduit en danois avec plus de 22 éditions : le succès de Mélusine est phénoménal. Mais que nous dit cette histoire ?
“Il y a très longtemps, le roi Elinas rencontre la fée Pressine au bord d’une fontaine. Il lui déclare son amour et la demande en mariage. Elle accepte, mais à une condition : qu’il jure de ne pas l’approcher quand elle mettra ses enfants au monde. Il jure. Mais lorsque Pressine accouche de trois petites filles, dont Mélusine, elle voit surgir son mari. Elle disparaît aussitôt avec ses enfants pour aller rejoindre sa mère et ses sœurs dans l’île d’Avallon, la merveilleuse île des femmes. Bien des années plus tard, Mélusine se révolte contre ce père qui a trahi sa mère et l’a privée de son héritage : elle le capture et l’enferme dans la montagne magique.
Quelque temps plus tard, Mélusine est assise au bord d’une fontaine quand elle voit s’approcher le prince Raymond. Il s’éprend d’elle aussitôt et la demande en mariage. Elle accepte, mais à une condition : qu’il jure de ne jamais chercher à la voir le samedi, pendant toute sa vie. Il jure, et tient son serment pendant quelques 20 années. Alors, tout réussit : le royaume s’agrandit et prospère, des villes se construisent, la terre est riche, de nombreux enfants leur naissent. Mais un jour le frère du roi laisse entendre que l’on jase sur la vertu de Mélusine.
D’ailleurs, que fait-elle donc chaque samedi ? Saisi par le doute et la jalousie, Raymond se précipite chez Mélusine et la surprend au bain. Alors elle disparaît et tout s’effondre autour de Raymond : la guerre fait rage, la richesse s’évanouit, les calamités se multiplient jusqu’à l’écroulement du royaume. Raymond, jugé fou, est destitué.”
Une des premières surprises de ce récit nous vient de ce qu’il commence là où finissent les autres : au mariage !
En effet, contrairement à la plupart des contes, et à bien des romans actuels, le leitmotiv “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants” ne marque pas la fin mais le début de l’histoire.
Pour comprendre le sens de la Légende de Mélusine, et l’importance qu’elle assigne au Tabou qui en est le nœud, il importe de comprendre comment s’emboîtent tous les éléments qui constituent cette légende et d’en trouver la cohérence; celle de cette légende particulière mais aussi de toutes celles qui s’y rattachent.
EXTRAIT DE MELUSINE OU L’ELIMINATION DES TABOUS – de A g n è s E c h è n e
https://matricien.files.wordpress.com/2012/05/melusine-ou-l_elimination-des-tabous.pdf

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