Pour aider nos enfants à grandir

Et si, pour aider nos enfants à grandir, il suffisait de leur donner envie de rejoindre notre monde ? Explications d’une psychiatre.

Marie Rose Moro dirige la Maison de Solenn qui, à l’hôpital Cochin, à Paris, accueille des adolescents en souffrance *. Selon elle, les adultes sont les premiers responsables du refus de grandir de beaucoup de jeunes. 
 

Enfants qui grandissent

Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, le seuil de l’âge adulte soit devenu difficile à franchir pour beaucoup de jeunes gens ? 

Auparavant, anthropologiquement et psychologiquement, l’âge adulte était une évidence. Il n’y avait quasiment pas d’adolescence : on passait du stade d’enfant à celui d’adulte. Il y avait une sorte de certitude qui n’est plus du tout vraie aujourd’hui. L’un des principaux signes de cet état de fait est l’allongement de la période adolescente. On reste longtemps dépendant de ses parents, de son entourage et on ne décide ni de soi-même, ni de sa vie, ce qui est le signe de la maturité. Il y a plusieurs explications à cela. Premier élément : le monde des adultes est devenu compliqué, exigeant, désidéalisé. Pour qu’un jeune ait envie de s’engager dans l’âge adulte, il faut lui donner les moyens de rêver y aller. Or, ce monde n’est plus désirable. Pourquoi ? C’est une question qui se pose aux parents, aux éducateurs, aux soignants, mais également à toute la société. Deuxièmement, je crois qu’on a fait grandir nos enfants trop vite et trop tôt. On exige beaucoup d’eux, on accélère le processus de développement et, en fin d’adolescence, c’est comme s’ils manquaient d’enfance et cherchaient donc à y rester. Troisième élément : le manque de valeurs et d’idéaux. Les jeunes en ont besoin et, on le voit ces temps-ci, ils les trouvent parfois dans des idéologies meurtrières qui donnent un sens à leur vie. Pour devenir adulte, il faut croire en quelque chose qui transcende le quotidien. 
 

Ne leur a-t-on pas, a contrario, transmis un idéal de valeur lié exclusivement à la famille ? 

Effectivement, la famille est devenue, pour les jeunes gens, une valeur refuge. Bien entendu, c’est important : elle apporte la confiance et la sécurité pour affronter le monde extérieur, à condition que la famille elle-même valorise ce monde extérieur. Aujourd’hui, celui-ci est devenu objet de méfiance et de menace. Après avoir haï la famille en 1968, on l’adule et on la transforme en un havre de paix qui ne connaît pas le conflit. Or, chacun sait qu’une famille, c’est forcément un endroit de tensions, pas le lieu idéal pour rester au chaud avec papa-maman. 
 

Est-ce que certaines fois, cela n’arrange pas papa-maman de garder leur enfant au chaud ?

Bien sûr, parce que les parents eux-mêmes n’ont pas une grande confiance dans le monde des adultes. Ni un grand optimisme. Et beaucoup sont dépendants du regard que les adolescents portent sur eux. Il n’y a pas si longtemps, ils assumaient que leurs enfants passent par un âge où ils les détestaient. Nous, nous voulons être aimés par nos ados. L’idée qu’ils puissent nous rejeter est très difficile à accepter pour beaucoup de parents qui veulent maintenir la tendresse, la proximité. Mais pour devenir adulte, les adolescents ont besoin d’être en colère, de s’opposer. Il faut accepter de ne pas être « aimables ». 
 

En quoi est-ce moins facile, pour les adultes, de transmettre leurs valeurs ? 

Nous – écoles, parents… – ne sommes plus seuls à transmettre à nos enfants. Il y a de nombreuses sources d’information et, d’ailleurs, nous les éduquons en les rendant actifs, en les poussant à poser des questions, à chercher des réponses par eux-mêmes. Ce n’est plus une transmission hiérarchique du style : « Je vais te dire ce que tu dois penser », mais une transmission plus riche et plus complexe : « Je vais te donner envie de découvrir quelque chose et te donner les moyens d’être acteur de cette découverte. » Collectivement, c’est une forme de renoncement des adultes, comme si nous ne nous sentions pas à la hauteur de nos connaissances et de nos valeurs. Heureusement, dans les moments tragiques comme les attentats de janvier, on retrouve miraculeusement cette capacité de défendre ce à quoi nous sommes attachés. Mais trop souvent, il y a une sorte d’effacement de la responsabilité des adultes dans la transmission. Et cela concerne au moins autant les parents que le collectif.
 

Comment peut-on aider ces jeunes gens à aller vers l’âge adulte sans qu’ils aient le sentiment de sauter dans le grand vide ?

Aujourd’hui, l’adolescence a sa singularité, ses particularités. Elle va même finir par être plus longue que l’enfance qui, elle, a tendance à raccourcir. Il nous faut donc réinventer les concepts et les outils pour l’aborder. Par exemple, le suicide est une des premières causes de décès des adolescents. 8 à 10 % d’entre eux disent avoir eu des pensées suicidaires ou être passés à l’acte. Comment prendre en compte cette souffrance ? Soit les adultes considèrent que ça fait partie du « paquet » crise d’adolescence, ils banalisent : « Ne t’inquiète pas, c’est normal à ton âge » ; soit ils pensent que parler suffit de les empêcher de passer à l’acte, ce qui est irréaliste. Pour aider les jeunes à devenir adultes, il faut repérer ces difficultés particulières. Tout le monde doit se former, les professionnels de l’école, les parents, les soignants, les éducateurs… C’est à nous que revient la responsabilité de mesurer et de prendre en compte la souffrance des adolescents. Le regard tout entier de la société doit changer. Pousser vers l’âge adulte, c’est être crédible, authentique, cohérent, tenir bon dans la tempête et donner envie de nous rejoindre.

Extrait de : « Le monde des adultes ne fait plus rêver les ados » de Marie Rose Moro

 *Elle vient de publier « Les ados expliqués à leurs parents » (Bayard, 2015), et a dirigé « Devenir adulte, chances et difficultés » (Calmann-Lévy, 2014)

Publié dans : ENFANTS |le 27 novembre, 2015 |Pas de Commentaires »

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