Que subsistera-t-il de notre moi
Pourquoi meurt-on ? Que se passe-t-il après ?
De la mort dans sa concrétude, on ne sait rien. Nous n’avons que des fantasmes, c’est-à-dire un savoir inventé pour se rassurer, insiste Françoise Dolto. Les religions – fantasmes collectifs, selon Freud – nous font espérer un au-delà, une survie de « l’âme » : expliquer que Dieu rappelle très tôt à lui ceux qu’il aime est une façon de mieux supporter ce scandale absolu qu’est la mort d’un enfant. Elles ont aussi insufflé l’idée que la mort est, à l’occasion, une libération, le remède le plus efficace aux blessures de la vie. Mais leur perte d’influence laisse l’Occidental d’aujourd’hui plus démuni que jamais. Il ne dispose plus des mots et des gestes qui permettaient jadis de faire face à la Grande faucheuse. D’où sa tendance à cloîtrer dans les hôpitaux, à éloigner de son regard malades et vieillards et à négliger les rites funéraires.
Puisque la mort ne peut être pensée qu’à partir de l’unique expérience dont nous disposons – la vie –, l’illusion est nécessaire : après le moment fatal, quelque chose de notre moi subsistera. D’où nos préférences sur la façon dont sera traité notre cadavre.
« Je tiens à être enterrée pour qu’on vienne me voir, qu’on se souvienne. Le nom sur la tombe continue de maintenir une sorte d’existence », explique Marie. « Je voudrais être incinérée pour que mes cendres soient dispersées, pour être libre, explique Laure. Léguer mon corps à la science ? Pas question d’être charcutée ! » Cette impossibilité de réaliser que, une fois morts, notre moi cessera d’exister, est à la base d’un fantasme très répandu : la peur d’être enterré vivant. Plus que la mort abstraite, c’est le « mourir » qui nous effraie. Evoquer ce moment de passage entre vie et trépas, où l’on se dirait « je meurs », donne le vertige.
Mais au-delà de cette crainte métaphysique, il existe aussi la crainte très banale de la « sale » mort, celle qui fait souffrir. La plupart d’entre nous souhaite périr dans son sommeil, sans rien savoir de ce « mourir ». Mieux vaut une crise cardiaque brutale à la lente agonie qui laisse le temps de penser à l’inévitable.
La mort, moteur de la vie
La mort impersonnelle, abstraite, nous la refusons tous : « Chaque individu veut mourir de sa mort “à lui” », constatait Freud dans ses Essais de psychanalyse (Payot, 1989). C’est pourquoi il agit, tente de se construire son propre destin. Selon les psychanalystes, c’est l’aiguillon de la mort qui nous pousse à faire des enfants grâce auxquels nous survivrons au-delà du néant. C’est lui aussi qui incite l’artiste à créer pour immortaliser son nom. James Joyce, auteur de textes particulièrement obscurs, l’affirmait clairement : « J’écris pour donner du travail aux universitaires pour les siècles à venir. »
En fait, vivre éternellement serait sans doute d’un ennui sans fin. Car le désir de vivre, de créer, d’aimer se nourrit d’obstacles. Et, sans l’horizon de la mort, cette énergie intérieure s’éteindrait probablement à tout jamais. Autrement dit, nous avons psychologiquement besoin de la mort pour vivre.
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