Accepter nos enfants tels qu’ils sont
Qui n’a pas rêvé le meilleur pour ses enfants ? Pourtant, nous projetons sur eux, avec une bonne foi désarmante, tout ce que nous ne nous sommes pas autorisés à être. Et si nous ouvrions les yeux ! Nos enfants n’ont pas à combler nos manques. Ils sont là pour eux-mêmes et certainement aussi pour que nous apprenions d’eux.
Françoise Dolto disait que l’enfant « choisit » ses parents. Si l’affirmation peut paraître déconcertante, c’est pourtant dans ce sens que nous devrions considérer les choses. En effet, émettre une telle hypothèse nous aiderait à éviter bien des déceptions et autres soucis.
L’idéalisation, source de souffrance
Philippe, 53 ans, raconte le décalage entre ce qu’il rêvait et la réalité : J’imaginais une enfant idéale, jolie, féminine et j’ai le contraire. Ma fille est un véritable garçon manqué. Alors que nous sommes une famille plutôt axée sur la culture, elle ne s’intéresse qu’à la « Star Académie » et toutes ces sornettes que ma femme et moi qualifions de débiles. Elle a maintenant 26 ans et j’ai beaucoup de mal à communiquer avec elle. Je ne suis pas dupe de mon idéalisation. Je sais qu’elle me montre en miroir qu’elle n’a pas du tout envie d’être ma « star » et que ce que je lui reproche est directement lié à ce que j’ai à travailler moi-même. Je m’y emploie en faisant une formation professionnelle d’inspiration psychanalytique… Paul, beaucoup moins perspicace, a donné à son fils le même prénom que lui.
Paul père était rugbyman dans sa jeunesse. Paul fils pratiqua du rugby à 13 (alors que son père faisait du rugby à 15), à un niveau qui rendait Paul père très heureux et très fier. Lui qui n’a pas pu vivre de sa passion imaginait pour son fils une carrière professionnelle. Mais c’était sans compter sur le véritable non-désir inconscient de Paul fils. Celui-ci, lors d’un match décisif, eût un grave accident à la colonne vertébrale qui coupa court aux ambitions de son père. On voit bien jusqu’où peut aller une non prise en compte de la différence due à une idéalisation excessive. Vouloir à tout prix vivre à travers ses enfants est une voie sans issue. Ce sont les fils et les filles du désir de vie. Vos enfants ne sont pas vos enfants, écrit Khalil Gibran* : Ils arrivent à travers vous mais non de vous. Et quoiqu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas… Faire nôtres ces phrases peut révolutionner notre attitude face à nos chères têtes blondes. Certes, il n’est pas question de baisser les bras et de sombrer dans un laxisme qui occulterait nos responsabilités. Bien au contraire. Cela a aidé Richard à accepter, puis à assumer son fils trisomique :
Coureur de jupons, explique-t-il, bagarreur, fêtard, la naissance de mon fils m’a transformé. J’ai d’abord eu une réaction très violente, j’en voulais à la terre entière. J’ai failli assassiner cet échographiste qui n’avait pas décelé l’anomalie à temps. J’ai trompé encore plus ma femme à qui je reprochais le monstre qu’elle m’avait donné. Puis je suis tombé dans une grave dépression que j’essayais de nier par un alcoolisme forcené. Jusqu’au jour où mon cousin, la seule personne qui acceptait encore mes délires, m’a emmené voir une représentation théâtrale où l’on jouait « Le prophète » de Khalil Gibran. J’étais au bout du rouleau et l’acteur a agi comme un électro-choc lorsqu’il a récité la tirade sur les enfants. J’ai compris à ce moment-là que Gaëtan était en quelque sorte le prophète que j’attendais. Au-delà de son faciès, j’ai rencontré l’âme de mon enfant. Être son père n’est pas simple mais j’ai découvert, dans l’Institut Médico Éducatif que fréquente Gaëtan, des gens compétents qui m’aident à assumer ce défi de la vie. J’ai pu faire le point avec mon épouse et accepter qu’elle me quitte. Pour ma part, rien n’est réglé tout à fait. Pourtant, les jours où j’ai la garde de Gaëtan, je l’emmène souvent au théâtre, ce qu’il adore. Il faut dire que je me suis découvert une passion pour cette activité, jusqu’à envisager d’écrire une pièce. D’autant que ma nouvelle compagne, comédienne, semble emballée par le projet…
L’acceptation salvatrice
On a vu dans l’exemple précédent que Richard, en acceptant son fils, s’est autorisé à réhabiliter son propre enfant intérieur. Nous avons nous-mêmes été des enfants qui avons subi des injonctions conscientes et inconscientes. Nos enfants, si nous les acceptons tels qu’ils sont, deviennent l’occasion d’une auto-réhabilitation. En les libérant de nos projections idéalisantes, nous nous libérons de fait. Christel Petit collin, psychothérapeute et auteur, explique : Quand l’enfant intérieur est malheureux, craintif et carencé, la personne adulte est inadaptée dans sa vie affective et aussi, peut-être, dans sa vie professionnelle, à cause de son incapacité à s’affirmer et d’une trop grande soif de séduction, d’attention, d’approbation ou de réactions émotionnelles inappropriées…Accepter son enfant revient donc à s’accepter soi-même, sachant que si la vie nous a fait parent, ce n’est certainement pas par hasard. Car, comme disait Montherlant, il est bon d’avoir en la place un enfant qui nous dise innocemment ce que les autres ne nous disent pas…
Chantal Vernet pour signes et sens

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