Un autre imaginaire
L’imaginaire est la voie royale vers l’inconscient. Dans une optique psychanalytique, l’imaginaire n’est ni illusoire ni mensonger, ce mot désigne tout ce qui se manifeste par des images : les songes de la nuit, les rêveries de la journée, les fantasmes et les mythes, ces éléments collectifs dont, selon Jung, nos âmes ont besoin pour se nourrir spirituellement. Et n’oublions pas que, pour les psys, les fictions ont elles aussi une valeur de vérité : les petites histoires que nous nous racontons, les pensées vagabondes qui nous accompagnent tout au long de la journée, les scénarios que nous forgeons véhiculent nos désirs inconscients et des pans enfouis de notre personnalité. Même s’ils nous semblent absurdes, ils ont l’utilité de nous remettre en contact avec le petit enfant que nous avons été. « L’image est une force agissante, il est légitime de la faire agir », écrivait le psychanalyste Charles Beaudoin (In De l’instinct à l’esprit- Imago, 2007). Des techniques telles que l’hypnose, le rêve éveillé, la visualisation ou les tests projectifs s’appuient justement sur son pouvoir créateur.
Le refuge de notre mauvaise foi ?
« Je ne crois pas en l’existence de l’inconscient, affirme le philosophe Robert Misrahi. Nous sommes toujours conscients, présents à nous-mêmes. L’inconscient n’est que le nom que nous donnons à nos obscurités, à nos complicités, nos passivités et nos ignorances. » (In Savoir vivre, manuel à l’usage des désespérés, entretiens avec Hélène Fresnel – Encre marine, 2010). Pour de nombreux penseurs, en particulier Jean-Paul Sartre, l’idée d’un inconscient n’est qu’un prétexte pour démissionner en tant qu’humain responsable. C’est le refuge de la mauvaise foi et de la lâcheté : « Je ne savais pas ce que je faisais, ce n’est pas moi, c’est mon inconscient. » En réalité, Freud nous invite à rendre l’inconscient le plus conscient possible. Pour son héritier, le psychanalyste Jacques Lacan, nous sommes responsables de lui. Nous avons à en répondre, ce qui signifie que nous devons connaître et affronter nos pensées et nos fantasmes inavouables, même si cela nous coûte moralement. C’est tout l’objet de la cure analytique.
Une zone dans notre cerveau ?
« Les avancées des neurosciences, les sciences du cerveau, confirment les intuitions de Freud sur la réalité de l’inconscient, assure Boris Cyrulnik. Et les théories analytiques permettent aux neurobiologistes de mieux saisir ce qu’ils observent. » Loin d’enterrer Freud, de nombreux neurobiologistes tels Jean-Pol Tassin, ou neurologues tels Lionel Naccache, auteur du Nouvel Inconscient (Odile Jacob, 2009) vérifient ses hypothèses depuis plusieurs décennies. Il n’existe pas à proprement parler de siège central de l’inconscient. Mais trois zones cérébrales sont impliquées dans les processus inconscients : les structures limbiques (le royaume des émotions et de la sensibilité affective), les zones associatives du cortex ou` se créent les liens entre les idées, les mots et les choses, et les aires sensorielles. Le développement de la neuropsychologie permet également de mieux comprendre pourquoi nos conflits psychiques se traduisent si fréquemment par des maladies psychosomatiques, des douleurs physiques. En effet, le cerveau traite les mots exactement comme les sensations physiques. Une insulte est ressentie de la même facon qu’une gifle. Cette analogie explique pourquoi, après un choc, au lieu d’être malheureux, angoissé, nous pouvons nous sentir relativement serein… tout en nous mettant curieusement à souffrir de dorsalgies, de migraines ou de douleurs abdominales.
Un inconscient du corps ?
Les recherches actuelles le montrent : l’inconscient, ce n’est pas seulement « dans la tête », c’est toute une organisation psychocorporelle. Depuis la fin des années 1980, les neurobiologistes se penchent sur un deuxième inconscient, « cognitif ». Comme le décrit Boris Cyrulnik, il s’agit d’une mémoire purement corporelle, sans souvenirs, sans désirs secrets ni pensées honteuses. C’est grâce à lui que nous accomplissons les gestes du quotidien : nous laver les dents, sortir de chez nous, sauter dans le métro, rentrer, composer le code de la porte d’entrée sans même nous souvenir des chiffres, automatiquement, sans y réfléchir. Cet inconscient « corporel » explique aussi pourquoi sans le vouloir beaucoup d’enfants maltraités deviennent des adultes maltraitants. Ils ont intégré dans leur corps les gestes de la violence. Il peut également rendre compte des fausses allégations : une femme peut, par exemple, porter plainte « aujourd’hui » pour viol et éprouver le fait d’avoir été violée parce qu’elle l’a réellement été « dans le passé ». Son inconscient cognitif ayant conservé la trace du drame, il aura suffi que le sourire d’un homme dans le métro lui rappelle celui de son agresseur pour réactiver le drame. Si nous voulons vraiment comprendre nos émotions, nos vrais désirs, sortir de la spirale infernale de l’échec et nous épanouir, il est urgent d’accepter d’écouter notre inconscient.
A lire
La Transcendance de l’ego de Jean-Paul Sartre (Vrin, 2003)
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