par Galina Krasskova, traduit par Lehl
Cet article traite de l’honneur rendu aux esprits urbains, un acte qui a pris une importance significative dans ma pratique personnelle ces derniers temps. En effet, ayant tout juste donné un cours sur l’hommage rendu aux Saints Pouvoirs de la Tradition Nordique, j’ai été fortement surprise de voir qu’une si grosse part de la pratique consistait finalement à honorer les ancêtres (parmi lesquels les Dieux pourraient être, techniquement, représentés) et à honorer la terre. Ces petites épiphanies sont extraordinaires. Je me retrouve à vouloir me frapper le front de la main et à me demander pourquoi diable ça m’a pris si longtemps pour saisir ce qui semble, finalement, tellement essentiel. Je ne peux m’empêcher de me gronder de ne pas avoir vu ces choses plus tôt ! Je suis sûre que nous sommes tous passés par là à un moment ou un autre. Bref, j’ai récemment fait un bon bout de travail avec les esprits urbains et je voulais discuter un peu de ça avec vous, mes lecteurs.
J’ai voyagé pendant les vacances, et suis allée cette année pour la première fois à Londres et Oxford, toutes deux de charmantes villes que je voulais visiter depuis très longtemps déjà. Pour une animiste, et aussi une chamane, visiter une nouvelle ville n’est pas nécessairement aussi complètement défini que cela puisse paraître. Il y a quelques mois, l’éditeur de Witches and Pagans1 me demanda -lorsque j’avais écrit mon article sur la Déesse Cardea et sur les Dieux des choses simples2- comment se mettre à engager ces relations de dévotion. J’ai depuis médité sur la question et je pense qu’une bonne chose à faire pour commencer (en plus d’honorer ses ancêtres, qui peuvent vraiment faire beaucoup de chemin pour aider une personne à propos de ces choses) pourrait être simplement de travailler avec les esprits urbains. Ces esprits sont une sorte de Vættir, ou d’esprit de la nature, ce que les anciens Romains appelaient un genius loci (un esprit du lieu), mais ils sont plus bruyants (c’est en tout cas que je pense) et sont plus habitués à interagir avec les êtres humains que les autres types d’esprits terrestres. Il y a par ailleurs énormément de façons différentes de collaborer avec la topographie d’un lieu, et chacune peut représenter un chemin menant vers l’engagement avec l’esprit du lieu en personne, ce qui, en retour, peut s’avérer un très bon enchaînement vers un travail avec les Dieux et les esprits des choses « simples ».
1 http://witchesandpagans.com/
Plusieurs façons de s’engager avec les esprits urbains, je peux seulement vous dire ce que je fais. J’encourage mes lecteurs à expérimenter, à partager ce que chacun de vous fait, vos expériences, ce qui a marché et ce qui n’a pas marché, parce que nous pouvons apprendre les uns et des autres. Par ailleurs, nombre de ces pratiques dépendent de chaque esprit urbain en lui-même, de chaque endroit en lui-même. Il n’y a pas de technique difficile et rapide qui marchera à chaque coup. Nous avons affaire à des individus, après tout. Je suis, bien sûr, toujours en train d’apprendre. De toutes les parts de ma pratique, celle-là est l’une des plus récentes qui tombe vraiment sous le sens. Je n’ai réellement commencé à travailler avec les esprits urbains que depuis six ans environ. Que fais-je ? Et bien mon travail avec les esprits des lieux se divise en deux catégories : il y a les esprits de la ville dans laquelle je vis et celle dans laquelle je travaille, et les esprits des villes que je visite régulièrement (ou que j’ai visité dans le passé et avec lesquelles je ressens une forte connexion).
La façon dont j’honore un esprit donné varie selon la catégorie dans laquelle il se trouve. Après tout, je pense qu’il y a plus de façons d’honorer des esprits avec lesquels nous nous engageons régulièrement, et que c’est en général plutôt facile quand on vit dans un endroit particulier. S’engager avec la topographie-même aide à entretenir la connexion. Cependant, parce que je reviens tout juste de voyage, je commencerai cette série d’articles en parlant des moyens que j’ai trouvés pour s’engager avec de nouveaux esprits urbains, des genii loci se trouvant en des lieux que l’on pourrait être en train de visiter pour la première fois.
Pour commencer, je ne fais pas que visiter une ville. Je développe des relations avec les esprits urbains, des relations complexes, à multiples aspects, nuancées. Avant d’aller plus loin, je veux ajouter que je ne pense vraiment pas non plus que ce soit un truc de chaman. Je pense que tout a à voir avec le fait d’être une animiste qui a travaillé dur pendant des années pour développer une pratique dévouée et engagée. Je pense que c’est une partie et une parcelle du fait d’être une polythéiste active. Je pense aussi que c’est quelque chose que chacun peut faire de sa propre façon. Cette pratique peut, bien sûr, mener à certains tabous et certaines obligations précisément parce que, en s’engageant avec un esprit urbain, on s’engage avec un être vivant, conscient (mais on parlera de cela un peu plus tard).
Peut-être extrapolé-je trop à partir de ma propre expérience, mais je pense que les esprits urbains sont par trop souvent négligés. Je sais que j’ai tendance à les placer en troisième position parmi mes priorités psychiques, après l’honneur rendu aux Dieux et aux ancêtres. Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai vraiment commencé à m’engager profondément et avec consistance avec les genii loci des lieux dans lesquels je vis et j’erre que pendant ces quelques dernières années. J’ai su pendant longtemps que c’était important. Je ne savais simplement pas comment m’y mettre !
J’ai en fait appris comment communiquer avec les esprits urbains grâce à un esprit urbain :
Paris. Oui, vous avez bien lu. Paris, en France, m’a appris comment m’engager avec les esprits urbains. J’y suis allée pour la première fois il y a peut-être six ou sept ans en compagnie de ma mère adoptive, qui m’a fait faire le tour du Paris qu’elle connaissait personnellement. Elle était née là et Paris l’avait élevée telle une enfant durant ses nombreuses visites. Alors que nous nous promenions, je commençai à ressentir une forte sensation indiquant la présence, l’état d’être de la ville (c’était avec certitude un être féminin au fait. Paris est définitivement féminine). A la fin de cette première journée, j’avais l’impression d’avoir été présentée à elle, et dès le deuxième jour, nous étions en communication de façon active. Pourquoi est-ce donc arrivé? Je ne sais pas. Peut-être étais-je dans un état d’esprit particulièrement réceptif, peut-être étais-je à un niveau où j’étais prête à ajouter cela à mon travail, peut-être était-ce juste le hasard, ou peut-être que Paris était particulièrement courtoise à cause de ma mère, qui était l’une des siens, ceux qui étaient nés là (et Paris prend bien soin des siens, bien qu’elle puisse être dure, comme toute ville peut être dure envers certains). Ma mère a peut-être été l’interlocuteur indispensable au développement de cette relation. Tout ce que je sais, c’est que je suis immensément reconnaissante. Elle m’a présenté un ensemble de techniques, une conscience grandissante de la sensibilité des lieux que j’ai emportée avec moi et dès lors utilisée dans mon travail et ma dévotion.
Au fait, ça aide d’avoir un interlocuteur. Soit quelqu’un qui est né et élevé dans la ville en question, soit quelqu’un qui y est fortement connecté. Être présenté dans les règles peut paraître un peu vieux jeu dans la société humaine, mais d’après ce que j’ai remarqué, c’est quelque chose que beaucoup d’esprits urbains apprécient. Bien sûr, ce n’est pas toujours possible, mais quand ça l’est, ça vaut le coup d’en tirer avantage. J’ai connu des situations où l’esprit de la terre ou l’esprit urbain refusait simplement de répondre aux gens qui n’étaient pas nés au même endroit. Cela arrive souvent lorsqu’il existe des hostilités ancestrales entre des régions, des gens ou des lieux. Dans de tels cas, développer une quelconque relation qui fonctionne avec la terre peut prendre très longtemps, ou peut ne jamais aboutir. Les esprits terrestres, dont les esprits urbains représentent un type, ont la mémoire longue et peuvent être très, très têtus. Dans un tel cas, je recommanderais fortement de chercher un interlocuteur natif de la région.
J’ai quitté Paris pour rentrer à New York et ai commencé à mettre en oeuvre ce que j’avais appris. Puis, chaque fois que je voyageais, je mettais un point d’honneur à chercher l’esprit de la ville, à me présenter et faire des offrandes. Je fis cela du mieux que je pouvais bien sûr, de façon formelle ou non selon ce que je ressentais à propos de chaque individu spirituel en lui-même. Je ne reçus une autre leçon sérieuse sur la bonne façon de conduire un tel travail que lorsque je me rendis à Londres (je dois préciser que ce fut assez récemment). Les leçons que Londres me donna concernaient le protocole de présentation. A présent, avant de continuer, je devrais préciser que ce sont les leçons que l’on m’a données, et que cela marche pour moi, et que c’est probablement ce que j’enseignerai à ceux qui viennent à moi et me demandent comment travailler avec les esprits urbains. Les personnes qui font ce travail par elles-mêmes en revanche reçoivent certainement d’autres instructions.
Nous avons affaire à des êtres conscients après tout, ce que je peux donc conseiller de mieux est d’utiliser ceci comme un guide et puis de permettre à la relation, quand elle fonctionne, de se développer vers une relation bénéfique dans les deux sens, et vers la satisfaction de toutes
les parties impliquées. Je me sens toujours un peu ennuyée à cause des attentes selon lesquelles, en tant que chamane ou en tant que personne qui travaille avec les esprits, ou même en tant que Païenne et polythéiste, je serais « orientée Nature ». Je ne le suis vraiment pas. Je travaille bien mieux avec des esprits urbains et je me sens bien plus à l’aise avec eux. De plus, les esprits urbains sont plus habitués à avoir affaire à des humains et s’adaptent plus facilement à nos absurdités. Il y a là une histoire commune, une symbiose, et la dynamique de pouvoir est plutôt différente de celle qui existe entre les régions rurales et leurs habitants, et quelque chose d’encore différent existe dans la nature inhabitée. Il n’y a pas de type d’esprit meilleur qu’un autre, mais nous avons tous nos préférences et nos affinités.
Ma plus forte affinité va sans aucun doute vers les esprits urbains et leur environnement. Je savais -d’après ce que m’avaient dit d’autres alliés- que Londres serait une puissante alliée pour moi (pour un certain nombre de raisons personnelles et rattachées à mon passé) si je pouvais entretenir correctement la relation avec elle. J’ai commencé par faire des offrandes à New York avant de partir de chez moi, et par demander à mes ancêtres et à l’esprit de ma ville de m’aider à négocier la relation. Cette action m’a permis de préparer mon esprit et l’énergie nécessaire pour être particulièrement réceptive aux incitations de l’esprit de Londres bien avant que je n’arrive sur place. Je me donnais une avance. Je vais en plus vous confier un petit secret à propos de la pratique élémentale : chaque esprit élémentaire donné (et les esprits urbains sont un type de vættir de la terre) est connecté à tout autre esprit du même élément.
En d’autres termes, chaque esprit de la terre a une connexion avec tous les autres esprits de la terre. Ils peuvent communiquer. Il était donc parfaitement possible de demander à l’esprit de ma ville de jouer les intermédiaires pour moi.
Une fois arrivée en Grande-Bretagne, pendant l’atterrissage et pendant la route pour aller à l’hôtel, je saluai attentivement Londres, me présentai, et exprimai le désir de pouvoir m’engager avec elle plus tard et de commencer à construire une relation efficace. Plus tard dans la journée, lorsque je fus installée à l’hôtel, je reçus une très forte pression de la part de l’esprit de la ville pour qu’il m’emmène me promener. Je ne m’attendais pas à ça : je ne savais en fait pas du tout à quoi m’attendre. Je fus informée, cependant, que cette promenade initiale faisait partie du protocole auquel il fallait s’attendre lorsque l’on rencontrait un esprit urbain pour la première fois. J’enfilai donc mon manteau et sortis (ma soeur dans mon sillage), allant là où la ville en personne me dirigeait. Je fus conduite tout droit vers le Parlement et Big Ben, puis je suis passée devant le Old War Office, le Cénotaphe et autres monuments militaires. J’étais incitée à marcher dans les environs pendant environ une heure, puis à laisser des offrandes, ce que je fis. Le jour suivant, je suis allée visiter le monument de la Royal Air Force et la tombe du Soldat inconnu et, plus tard, je fus incitée à me rendre au cimetière et à laisser des offrandes.
En tant que personne extérieure, lorsque je fus dirigée vers le coeur de la ville, je fus alors spécifiquement dirigée vers le coeur de Westminster : le siège gouvernemental. J’ai finalement posé des questions à ce propos à quelques collègues et mon expérience généra un peu d’excitation. Ce que je ne savais pas (mais mes amis me l’expliquèrent rapidement), c’est que Londres est composée de deux villes : la ville de Westminster et la ville de Londres. Il était parfaitement logique qu’une personne ayant une orientation militaire, étant au service des morts de l’armée, et qui avait été très fortement connectée aux morts des Première et Seconde Guerres mondiales depuis qu’elle avait posé les pieds sur le sol anglais, serait dirigée vers le centre gouvernemental. Après ça, je me rendis au quartier de St Paul, puis visitai la partie d’un vieux mur romain qui se trouve aussi dans la ville de Londres, et fis quelques offrandes là aussi, bien que ma connexion avec l’esprit de Londres fût bien plus légère que celle avec la ville de Westminster. Je fis cela par respect et par politesse.
Les villes se souviennent de tellement de choses. Elles ont regardé passer des générations et des générations de folie et de souffrance humaines, de succès, d’espoir, d’échecs et de joie. Elles ont beaucoup à enseigner. J’ai mentionné plus haut que je faisais un bon bout de boulot avec les morts de l’armée, et ce travail était franchement en premier plan lorsque je suis arrivée à Londres. Les deux esprits urbains l’ont ainsi fait. J’étais là pendant l’anniversaire des bombardements de Londres. En tant qu’académique, c’est une chose de savoir que la Seconde Guerre mondiale a eu un effet énorme sur Londres et ses citoyens, mais c’en est plutôt une autre que de ressentir la présence des militaires décédés, de ressentir les souvenirs des esprits urbains, de passer la main sur les murs carbonisés d’un bâtiment toujours criblé de trous faits par des éclats d’obus, ou de discuter avec un vieil homme qui était enfant pendant les bombardements et d’entendre ses histoires, racontant comment il collectait les éclats d’obus, blancs et brillants, quand les raids cessèrent. Tout le temps où j’étais là, la Première et la Seconde Guerres mondiales ont tiré sur les cordes de ma mémoire. La ville a partagé ses souvenirs, ses expériences, son chagrin, et sa volonté de perdurer et de soutenir ses habitants.
Et plus qu’une fois, alors que je sortais, je me surpris à rendre hommage. C’est ce que font les villes : elles éveillent les gens aux choses du passé. Elles peuvent partager leurs expériences et connecter une personne aux moments qui l’effraient le plus, et qui ainsi la définissent.
Londres est une ville magnifique : elle a de la bravoure. Une chose que j’ai aussi remarquée : il n’y a pas un seul monument militaire, peu importe à quel point le lieu où il se trouve est connu ou inconnu, qui soit dépourvu de décorations. Tous avaient au moins des guirlandes de coquelicots en papier, et la plupart avaient bien plus de décorations, offrandes données par un peuple qui se souvient des sacrifices de son passé. Chaque ville a son histoire. Parce qu’il n’existe pas vraiment de modèle ou de livres avec 101 choses à savoir pour faire ce type de travail avec la terre, une façon pour les gens de commencer à s’engager avec les esprits urbains est de prendre du temps pour apprendre l’histoire de la ville.
Prenez connaissance de ses endroits secrets, de ses histoires, de son folklore. Apprenez comment elle a été construite, apprenez tous les grands noms qui y sont nés et comment elle a construit une relation avec les gens qui y vivent et ceux qui n’y vivent pas. Discutez avec votre esprit urbain, montrez votre désir de construire une relation. Faites quelques offrandes, vous prendrez conscience en faisant cela de quelles sont les offrandes que votre esprit aime. Si vous avez des doutes, une bonne eau propre versée est toujours bonne, un peu de tabac (dont vous retirerez le filtre puisque celui-ci n’est pas biodégradable) est aussi acceptable en général. C’est une bonne façon de commencer de toute façon. En faisant ce genre de travail, vous vous retrouverez poussés à être plus appliqués dans le recyclage, ou poussés à donner de votre temps pour nettoyer un parc municipal. C’est un moyen bon et concret d’honorer l’esprit.
C’est affreusement facile d’oublier la composante pratique et physique de tout ça, mais c’est une part importante de ce travail. Ça ne mène à rien de bon de parler d’honorer un esprit urbain pendant que l’on souille les rues de la ville de détritus. Il y a une chose qui m’a pris du temps à saisir, c’est pourquoi je vous le dis : lorsque vous faites des offrandes à un esprit élémentaire, soyez sûrs qu’elles soient biodégradables. Ne faites pas d’offrandes, si vous le pouvez, qui violeront la santé de l’élément. Par exemple, si je souhaite offrir une tarte aux esprits de la terre, je ne laisserai pas la tarte dans le moule en aluminium. Je la retirerai du moule et ne donnerai que ce que la nature peut dévorer sans que ça ne lui fasse du mal.
De même, je ne laisse pas des choses qui pourraient blesser les animaux des alentours.
J’essaie de n’offrir que des choses biologiques, moissonnées par des humains et biodégradables. Chaque chose faite pour transformer la ville en un lieu meilleur et plus humain peut être faite comme une offrande réfléchie et offerte aux esprits du lieu.
Allez à présent dehors et versez une offrande à l’esprit du lieu où vous vivez. Honorez son genius loci, l’esprit du lieu, pour le support qu’il vous apporte. C’est un digne et bon endroit où commencer.
Restrouvez les articles, en anglais, de Galina Krasskova sur son site http://krasskova.weebly.com
2 http://witchesandpagans.com/Pagan-Paths-Blogs/crossing-the-sacred-threshold-the-gods-of-small-things.html