Pourquoi du Catastrophisme durant notre ère
Si la fin du monde n’est pas pour demain, les prévisions quant à son arrivée ne datent pas non plus d’hier. L’apocalypse prédite de tous côtés pour le 21 décembre 2012 aurait été la 183e annoncée «depuis la chute de l’empire romain», selon l’historien Luc Mary. Sous la forme aussi bien d’une destruction totale de la planète que d’un passage de l’humanité à une ère nouvelle. Ce qui semble en tout cas distinguer cette fin du monde là des précédentes, c’est la multiplication des cataclysmes «Dans les chaos annoncés auparavant, on évoquait une seule catastrophe à la fois mais cette fois, on y a tout mis et on arrive à un incroyable gloubi-boulga», note Alain Cirou, directeur du magazine Ciel et Espace.
A des phénomènes constatés – réchauffement de la planète, fonte de la calotte glaciaire, tsunamis – s’ajoutent des scénarios pourtant tous décrétés farfelus par les scientifiques: inversion des pôles terrestres, collision planétaire, engloutissement par un trou noir, alignement des planètes et on en passe. On pourra se demander à quoi riment toutes ces prévisions catastrophistes. Pour l’historien Jean-François
Mayer, spécialiste des développements religieux dans le monde contemporain et fondateur de l’Institut Religioscope à Fribourg, elles nous révèlent «le développement dans notre environnement spirituel d’une nébuleuse d’imaginaires post-chrétiens», qu’il appelle «la religiosité parallèle» et qui s’est notamment cristallisée sous le terme de New Age.
Lequel connote la croyance «qu’après plus de 2000 ans sous le signe astrologique des Poissons, notre planète entre dans le signe du Verseau » et connaître l’avènement d’une «civilisation caractérisée par des sentiments de paix et une relation plus équilibrée avec la nature.» Un avènement parfois «aux accents millénaristes, parfois catastrophistes, plusieurs interprétations n’excluant pas la possibilité de bouleversements accompagnant ce processus». De la même manière que le millénarisme chrétien «incluait des turbulences planétaires accompagnant le passage vers le royaume de Dieu sur terre».
Mais cet avènement d’un monde meilleur semblant tarder à se concrétiser, la mouvance New Age, florissante à la fin des années 1980, avait paru depuis se recentrer sur la simple transformation des consciences individuelles. Jusqu’à ce qu’arrivent «toutes ces discussions et attentes» autour de 2012», dont la popularisation servirait, selon Jean-François Mayer, à revivifier «la grande espérance New Age de transformation collective et pas simplement comme aspiration à l’épanouissement individuel».
Mais pourquoi précisément 2012? Si la fortune du thème est récente et date du film de Roland Emmerich, l’idée vient de plus loin. De 1987 précisément et d’un homme: l’Américano-Mexicain José Argüelles.
Qui explique que «nous avons besoin d’une transformation de notre mode de vie» et annonce un nouveau cycle, «la synchronisation post galactique qui suit l’an 2012».
La fin d’un très long cycle dans la civilisation maya
La civilisation maya avait élaboré plusieurs calendriers. Celui utilisé par Argüelles pour désigner 2012 comme l’année fatidique existe, redécouvert par des travaux d’archéologues, et dans lequel il semble en effet que «2012 correspond à la fin d’un cycle de 144 000 jours, soit 394 ans et la fin d’une période de 13 cycles de 144 000 jours.»
Mais, raconte Jean-François Mayer, «c’est du propre aveu d’Argüelles un calendrier revu et corrigé pour les besoins de la cause, un calendrier galactique différent du calendrier maya indigène». Et même si l’interprétation du calendrier par Argüelles était exacte, «cela ne prouverait strictement rien, à moins de décréter que les Mayas soient automatiquement détenteurs de la vérité». Ceux qui parlent de 2012 ne reprennent pas tous le schéma d’Argüelles. Mais le coeur du récit est «la conviction que les Mayas avaient atteint un niveau de sagesse élevé, que leurs calendriers très élaborés indiqueraient la fin d’un cycle et un tournant crucial pour l’humanité en 2012 ou autour de cette année».
Des Sumériens aux indiens Hopi
Outre les Mayas d’autres cultures ont été appelées à la rescousse pour faire de 2012 l’année de tous les dangers, «comme les prophéties des indiens Hopi, ou la planète Nibiru, connue des Sumériens, et qui serait pour l’instant invisible en raison de sa position, mais passerait tous les 3600 ans à côté de la terre provoquant de sévères bouleversements». Une planète bien pratique qui permet d’expliquer «aussi bien le déluge que la disparition de l’Atlantide ».
Derrière ces fantasmagories, on retrouverait la vieille aspiration millénariste à un monde nouveau et donc à la disparition du monde actuel. «Sauf, précise Jean-François Mayer, que pour beaucoup de nos contemporains, l’imaginaire chrétien ne fait plus sens. L’aspiration à un monde idéal va donc trouver d’autres canaux d’expression.» Dont ceux d’une sorte de «religion à la carte» que propose en pagaille le Nouvel Age.
Texte: Laurent Nicolet
Les profiteurs d’apocalypse
La profusion des discours apocalyptiques centrés sur 2012 a fini en France par inquiéter une institution aussi sérieuse que la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), qui s’est fendue d’un long rapport au premier ministre. Des discours de type aussi bien religieux qu’astronomiques ou astrologiques et fondés, note la Miviludes, «sur des interprétations anxiogènes de phénomènes réellement constatés ou observés», dans un climat de «crise économique, d’alertes écologiques, et de crises profondes des valeurs sociétales».
Bref, joli temps pour les gourous et autres charlatans n’hésitant pas à se servir de «ces peurs millénaristes pour engendrer la domination, l’emprise physique ou psychologique sur des individus ou la captation de leurs biens financiers». Joli temps, aussi, pour les plus marchands du temple. «On ne compte plus, ajoute la Miviludes, les utilisations du produit «fin du monde» dans tous les domaines: arts, productions littéraires et cinématographiques, conférences et séminaires, jeux vidéo, produits dérivés, vente d’abris anti-apocalypse, de kits de survie.» Jean-François Mayer confirme en effet l’existence d’une entreprise américaine en train d’essayer de commercialiser des places dans des abris équipés devant permettre de survivre après 2012.
Source : Migros Magazine | No 52, 27 Décembre 2011 |

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