Les peuples de la Forêt Amazonienne
Déforestation, barrages : le combat sans fin du chef Raoni
La première fois qu’il est venu en France, c’était en 1989. Le chanteur Sting l’avait tiré de son coin de nature. Très vite, Raoni Metuktire, chef suprême du peuple kayapo, est devenu l’emblème d’une forêt amazonienne qui souffre de l’exploitation massive de ses ressources. À l’époque, sa tournée n’avait pas été vaine. Différents dirigeants, dont François Mitterrand, s’étaient mobilisés pour mettre au point le PPG7, un programme de conservation de la forêt vierge brésilienne. Sous le patronage de la Banque mondiale, un demi-milliard de dollars avait été mobilisé en 1992 pour protéger, jusqu’à aujourd’hui encore, des millions d’hectares et les peuples qui y vivent.
Aujourd’hui, carte à l’appui (voir vidéo), le chef Raoni, accompagné de son neveu et successeur, le cacique Megaron Txucarramãe, souhaite remobiliser les esprits à l’occasion de la Coupe du monde de football, organisée au Brésil. Il n’appelle pas à boycotter l’événement, au contraire : il veut y voir un relais précieux pour les idées qu’il défend, sans relâche, depuis un quart de siècle. Outre la déforestation galopante, dopée par le commerce illégal de bois, bien trop peu régulé selon les deux Kayapos, les projets d’infrastructures hydrauliques font peser des risques bien réels sur leur peuple et leur mode de vie.
Plusieurs entreprises françaises – EDF, GDF mais aussi Alstom – ont déjà investi ou aimeraient le faire dans des projets de grands barrages en Amazonie. Le plus emblématique est celui du Belo Monte, dans le nord du pays, dont la mise en service est prévue pour cette année. Il est situé en dehors des territoires indiens, mais il gênerait déjà le cours des poissons dont se nourrissent les Indiens. De plus, la zone inondable pourrait « tuer des Indiens » qui ne sont « même pas informés » du projet, estime Megaron Txucarramãe.
Peu de solutions sur la table
Sauf que le chef Raoni n’a plus la même énergie que par le passé : il se dit fatigué, il a dépassé les 80 ans. Il est tombé malade à Paris et a dû écourter certaines de ses interventions. Chaque interview, chaque déplacement, aujourd’hui en France, demain aux États-Unis ou au Japon, lui coûte un peu plus alors qu’il préférerait « manger du poisson frais » et « se baigner avec sa famille ». Même si la relève est assurée, sa cause n’a plus de parrain aussi médiatique que par le passé. L’époque elle-même ne semble plus aux grands mouvements : « Des peuples peuvent être détruits, mais cela n’est que peu ou pas relayé. On touche pourtant là à des choses essentielles », reconnaît Gert-Peter Bruch, président de l’ONG Planète Amazone, qui accompagne le cacique Raoni dans sa tournée.
Alors qu’il l’avait déjà reçu en 2012, François Hollande a cette fois décliné la sollicitation du chef indien. Pourtant, ce dernier aurait bien besoin du soutien de la France pour porter la seule initiative qui pourrait mieux sanctuariser le poumon vert de la planète : élargir le champ de compétences de la Cour pénale internationale. « Aujourd’hui, il n’y a pas de possibilité juridique de stopper des projets qui provoquent des écocides », plaide Valérie Cabanes, juriste et bénévole pour l’ONG. Il faudrait voter un amendement aux statuts de la CPI pour qu’elle puisse juger ce qui relève des crimes contre l’environnement. On aurait pu ainsi condamner l’utilisation de l’agent orange, pendant la guerre du Vietnam. » Et aussi, espèrent-ils, faire reconnaître la déforestation massive comme un acte « quasi génocidaire ». Ce projet d’amendement sera présenté à l’ONU en 2015, mais il a besoin du soutien d’au moins 81 pays pour être adopté. À part cette éventuelle mesure, les caciques indiens, malgré les applaudissements de nos députés, sont bien démunis face aux défis qu’ils dénoncent.
Le puissant lobby agricole brésilien a remporté une victoire au détriment des écologistes avec l’approbation par les députés d’un projet de loi polémique assouplissant la protection de l’Amazonie. Après deux ans de discussions, la révision du code forestier de 1965 a finalement été approuvée mardi soir et ce projet de loi devra maintenant passer devant le Sénat.
Avide de repousser les frontières agricoles, le secteur agricole et de l’élevage réclamait une réforme de la loi.
Immense pays de 8,5 millions de km2, le Brésil possède aujourd’hui 5,3 millions de km2 de forêts, essentiellement en Amazonie. « La Chambre des députés a transformé la loi de protection des forêts en un passeport pour la déforestation et l’expansion débridée de l’agriculture et de l’élevage », a déploré Greenpeace dans un communiqué.
« Les secteurs agricole et de l’élevage célèbrent les progrès obtenus », s’est félicité au contraire la présidente de la Confédération nationale de l’Agriculture, Katia Abreu. « Ce qui est en jeu, c’est la production d’aliments au Brésil, qui soutient l’économie nationale », a-t-elle fait valoir.
Le Brésil est l’un des principaux producteurs et exportateurs au monde de soja, de céréales et de viande mais la déforestation massive a fait du Brésil le cinquième plus grand émetteur de gaz à effet de serre du monde.
Ce vote, contre l’avis du gouvernement, est considéré comme la première défaite de la présidente Dilma Rousseff au parlement. La ministre de l’Environnement, Izabella Teixeira, a prévenu toutefois que Mme Rousseff pourrait mettre son veto aux points les plus controversés du projet de loi.
Le point le plus critiqué légalise les zones forestières déboisées illégalement jusqu’en juillet 2008 et permet l’activité agricole dans des zones sensibles. « C’est un message comme quoi les crimes écologiques ne sont pas punis et cela encouragera les déboisements », a déploré à l’AFP le militant de Greenpeace, Paulo Adario.
Le code forestier de 1965 limite l’usage agricole des terres en obligeant les propriétaires de forêts à en préserver une partie intacte, jusqu’à 80% en Amazonie. Elle protège également des zones sensibles pour l’écologie comme les rives des fleuves, les sommets et les coteaux des collines.
Respecter à la lettre le code forestier signifierait replanter 600.000 km2 de terres – un peu plus que la superficie de la France -, a dit l’auteur de la réforme, le député Aldo Rebelo, qui estime que plus de 90% des propriétés rurales du pays ne respectaient pas les quotas de reboisement exigés par la loi.
« Le code devait être modifié. Il manquait des mécanismes encourageant l’effort de protection des forêts (…) mais on ne devait pas amnistier ceux qui ont déboisé dans le passé », a déclaré à l’AFP Paulo Moutinho, analyste à l’Institut de recherches d’Amazonie. Le Brésil a réussi à ralentir le rythme de la déforestation de l’Amazonie depuis 2004 mais la semaine dernière, une hausse spectaculaire est intervenue au moment où le parlement examinait le code forestier et un cabinet de crise contre la déforestation a été mis en place à Brasilia.
