Pas de blouse blanche pour une fin de vie
A Besançon, une maison expérimentale accueille des personnes en fin de vie ne nécessitant pas de soins hospitaliers trop lourds. Un personnel aux petits soins, la possibilité d’accueillir ses proches, et surtout beaucoup de chaleur humaine et de convivialité…Tout est fait pour que les résidents se sentent « comme à la maison » et puissent aborder cette dernière étape de leur vie le plus sereinement possible.
Nadine trinque, lève sa coupe de champagne (sans alcool), grignote un morceau de millefeuille, mais le sourire est timide. Ce pot est synonyme de retour à domicile pour elle, après une semaine passée à la « Maison de vie » de Besançon. Une semaine comme une parenthèse, dans sa « deuxième maison », où elle vient régulièrement passer quelques jours de repos, comme une « piqûre de rappel de vie ». Nadine est rongée par un lourd cancer qui la cloue dans un fauteuil roulant et la rend dépendante pour se nourrir, se laver, se déplacer… mais ne l’empêche pas de garder le sens de l’humour et vouloir faire la fête avec tout le personnel de la « maison ». Pour les remercier, elle a demandé à ses filles et à son mari d’acheter des bouteilles de champagne (avec alcool) et des gâteaux. Mais Nadine est partagée entre la joie de rentrer chez elle et la tristesse de quitter ce lieu où la vie est plus légère.
Pas de blouses blanches
« Bien souvent, je voyais que des personnes malades, quand elles avaient le sentiment de devenir une charge trop lourde pour leurs proches, se rendaient à l’hôpital alors qu’elles n’avaient pas besoin d’être hospitalisées », raconte cette ancienne attachée de presse, dont la vocation a mûri au fil des ans. L’hôpital, avec ses règles strictes, son personnel débordé, ne répondait pas au besoin d’accompagnement de ces personnes et de leurs proches.
Le dossier financier est difficile à boucler, mais quand le gouvernement lance un plan national pour le développement des soins palliatifs en 2008, les fonds se débloquent peu à peu : le conseil régional s’engage à financer la maison aux deux tiers, la Croix-Rouge entre comme partenaire du projet, et les Sœurs de la charité installées à Saint-Ferjeux mettent à disposition une bâtisse. Après d’importants travaux de réfection, l’installation d’un ascenseur, de salles de bain accessibles aux handicapés et le recrutement d’une dizaine de personnels, la Maison de vie ouvre ses portes en juin 2011.
Sous la garde de l’imposante basilique de Saint-Ferjeux, le site fait penser à une maison d’hôtes : parquet cérusé, meubles chinés, chambres personnalisées. « La déco, cela peut paraître superficiel, justifie Laure Hubidos, mais cela aide les résidents à se sentir chez eux. » Pour comprendre les spécificités de ce lieu, il faut relever les petits détails, comme l’absence de blouses blanches du personnel. « On ne distingue pas qui est résident, qui travaille et cela nous met tous au même niveau, explique Rachel Lyautey, aide médico-psychologique. Au début, les résidents sont surpris, mais on leur a demandé leur avis, et ils préfèrent qu’on soit en civil. »
Un minimum de règles
Avant d’être soignant, le personnel se veut surtout accompagnant. Les soins spécifiques des résidents sont ainsi réalisés par des infirmiers et médecins libéraux extérieurs à la maison. Quand les malades en font la demande, l’équipe mobile de soins palliatifs du CHU peut intervenir dans la maison. « C’est important de mettre le soin à distance, explique Brigitte Camus, infirmière coordinatrice. Cela permet de préserver les relations avec les résidents. Nous on s’occupe de la bobothérapie, des soins de confort ou à la demande du patient. »
La règle dans la maison est… de limiter les règles au strict minimum. Les résidents peuvent fumer dans leur chambre ou boire un verre de vin le soir s’ils le demandent, rester dans leurs chambres ou se mélanger au groupe. Les horaires sont libres, les familles viennent quand elles le souhaitent et des lits de camp sont sortis quand un proche veut dormir sur place. « Récemment, une résidente nous a demandé de contacter son mari dont elle était séparée. Il est venu passer deux semaines avec elle, l’a accompagnée jusqu’au bout, c’était un moment très fort », raconte la directrice de la maison. Souvent, les proches reviennent après ces tranches de vie. L’équipe se met parfois en quatre pour offrir des petits plaisirs aux patients. La semaine dernière, une sortie cinéma a été organisée pour aller voir le film Stars 80. Une aide-soignante a accompagné l’équipe sur sa journée de congés.
Ces attentions sont très appréciées. Véronique Ringenbach est arrivée dans la Maison de vie en avril, après qu’une IRM ait révélé la présence d’une violente tumeur au cerveau, qui lui paralyse le corps. Elle ne peut sortir de son lit, mais reste très coquette, « par respect pour ceux qui m’entourent », dit-elle, les yeux parfaitement maquillés d’un trait fin et les mains manucurées. « L’autre jour, j’ai envoyé une des aides médico-psychologiques, Rachel, faire du shopping pour moi. J’avais besoin de pulls, d’un pantalon, d’une écharpe. J’ai décrit les formes et les couleurs que je souhaitais. J’ai fait confiance à Rachel, car j’aime bien son style. »
« L’autre jour, j’ai écrit à ma fille, qui vit en Alsace, pour lui dire que l’équipe m’a promis de fêter mon anniversaire le 23 décembre, poursuit Véronique. Vu la date, on me l’a rarement fêté dans le passé. Ma fille m’a répondu : ‘Je suis très heureuse que tu fêtes ton anniversaire avec ta nouvelle famille.’ C’est curieux, je n’ai jamais employé ce terme de ‘nouvelle famille’ dans mes lettres, mais c’est ce que ma fille a compris par mon ton et c’est exactement ce que je ressens. »
« Tout sauf un mouroir »
Pour l’équipe, la liberté de travail est une aubaine. « Du fait d’être dans une petite structure, on fait notre métier de soin jusqu’au bout, note Rachel Lyautey. Le matin, par exemple, si on veut prendre une heure pour faire la toilette d’un patient, on le fait. » « Chaque journée est différente », s’enthousiasme Aurélie Mastropietro, jeune assistante de vie de 28 ans, qui ne se verrait pas travailler ailleurs. « Des amis me disent : « Mais à ton âge, c’est pas trop difficile ? » Mais ici, c’est tout sauf un mouroir. » Les rôles se diluent parfois : la directrice part faire les courses, l’infirmière coordinatrice s’inquiète de la décongélation du riz pour le repas de midi, la psychologue prend le balai et le personnel de nuit, féru de pâtisserie, prépare des gâteaux qui embaument la cuisine pour le petit déjeuner.
La difficulté, pour ce personnel ultra investi, est de réussir à se mettre à distance quand les souffrances se font trop vives. Ils sont aidés par un psychologue qui vient tous les quinze jours faire de l’analyse de pratique et leur faire prendre du recul. Toutes les interventions extérieures sont des occasions de souffler : quand des bénévoles organisent des ateliers de shiatsu ou de relaxation, les résidents comme le personnel peuvent en profiter. « C’est un métier qui pompe beaucoup d’énergie, justifie Laure Hubidos. Et pour donner, il faut recevoir. » Brigitte Camus, l’infirmière coordinatrice, insiste : « On s’adapte aux résidents, mais on ne leur laisse pas croire non plus que la maladie leur donne tous les droits, car ce serait les tromper. »
La mort fait bien évidemment partie du quotidien de cette maison, mais elle n’y est pas au premier plan. « La fin de vie est surtout triste pour ceux qui restent, explique Brigitte Camus. On cherche à éviter la tristesse avant la mort et à accepter le renoncement. » Les décès sont toujours vécus dans la douleur. Cependant, le sentiment d’avoir accompli sa mission jusqu’au bout aide à accepter le départ. « En juillet, un patient dont j’étais très proche est parti, raconte Aurélie Mastropietro. J’ai tenu à l’accompagner jusqu’au bout et à lui faire sa toilette mortuaire. Ce geste était très important. » Et puis les équipes sont vite rattrapées par le quotidien. « Quand quelqu’un part, on sait qu’un autre résident qui aura besoin de nous arrivera », poursuit Rachel Lyautey.
« Beaucoup d’oreilles et beaucoup de bras »
La sérénité avec laquelle la mort est abordée dans cette maison n’étonne pas Nathalie Voide, la psychologue qui vient, un jour par semaine, suivre les résidents. « On n’atterrit pas dans le soin vers la mort par hasard et chacun a cheminé sur ses questions », note-t-elle. Nathalie Voide aide les patients à mettre des mots sur ce qui leur arrive, leur maladie, la fin qui approche. « Je fais des propositions mais je ne force jamais à parler d’un sujet. Pour certains résidents, cette maison sera la dernière. Il faut donc beaucoup d’oreilles et beaucoup de bras pour les accompagner. »
La Maison de vie a ouvert sur la base d’une expérimentation de 18 mois, qui prendra fin en décembre, mais Laure Hubidos a confiance que sa mission sera prolongée. « Nous avons commis quelques erreurs au début, parfois accepté des patients aux pathologies trop lourdes, mais nous répondons à un réel besoin. » En témoigne la liste d’attente pour obtenir une chambre dans la maison et les demandes qui affluent au-delà de la région Franche-Comté. Et si ce lieu a un coût (800 000 euros par an), il permet d’éviter des hospitalisations, en soins palliatifs ou à domicile, qui seraient aussi onéreuses mais moins adaptées.
Dans la salle à manger, la devise du fondateur de la Croix-Rouge, Henri Dunant, est inscrite en grandes lettres rouges : « Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent ! » Une phrase qui résume bien l’esprit qui anime ce lieu. « Quand on lit cette phrase, cela coupe toute envie de pleurer », note Colette Hoffmaier, arrivée deux jours plus tôt et qui se sent déjà « comme à la maison ».
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