Pouvons-nous vivre sans nature

 

dieu6Arrivé de loin pour découvrir l’Europe, la France, Paris, j’étais vite devenu un parfait citadin. La grande ville comblait tous mes voeux et la nature ne me manquait en rien. Jusqu’à cette tiède nuit de printemps où, pour rire, j’ai escaladé les grilles d’un parc.

Nous avons perdu le contact charnel avec la nature et c’est ce qui rend lz vie urbaine stressante.

Même nos rêves sont désormais ceux d’une nature apprivoisée et non sauvage.

Nous avons besoin de la nature pour vivre, mais elle a aussi besoin de nous.

Là, d’un seul coup et contre toute attente, dans la lumière oblique des réverbères, les arbres centenaires me sont apparus d’une force fantastique. Des avions nous survolaient, scintillants, et des immeubles encerclaient le parc, mais la force archaïque du végétal n’en avait cure et j’ai pensé aux temples incas ou khmers abandonnés par les hommes et broyés par les racines. Le plus étonnant est que cette même force se dégageait du plus petit bourgeon, et qu’elle était sensuelle. Couché dans l’herbe, j’ai perçu avec délectation le grouillement érotique qu’allait révéler, vingt ans plus tard, le film « Microcosmos » : le moindre mètre carré d’humus est un univers, mu par le désir de vie. Cette nuit-là, j’ai réalisé, non pas que la nature me manquait, mais tout ce que je raterais si je continuais à la négliger. 

Ce n’est pas un hasard si ma mémoire me fait évoquer un film. Que nous en soyons conscients ou pas, pour la plupart d’entre nous, les tempêtes, volcans, troupeaux d’antilopes, jungles tropicales et cachalots – mais aussi les mœurs des blaireaux et des chauves-souris ou l’écheveau relationnel touffu entre lombrics, scarabées, cloportes, levures et bactéries dans l’humus du moindre jardinet – nous ont été révélés par les grands films de nature au cinéma, puis par la télévision, et aujourd’hui par les vidéos du Web. Urbanisation et virtualisation sont les deux faits civilisateurs qui à la fois nous éloignent de la nature et la filtrent, nous rapportant d’elle une image de plus en plus médiatisée, une image d’une beauté inimaginable pour nos ancêtres, mais désincarnée.

Parlant de cinéma, à une époque où nous savons tous que la déforestation et le désert gagnent chaque année quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés, comment ne pas penser à « Soleil vert », l’un des premiers films écolo-catastrophe (1973) ? Si vous ne l’avez pas vu : sur une planète désertifiée, les biches et les sous-bois fleuris traversés de clairs torrents n’existent plus que sous forme de films que l’on montre aux vieux pour qu’ils acceptent d’être euthanasiés. Même sans dramatiser à ce point, les faits s’imposent. La nature est d’autant plus menacée que nous ne la connaissons plus charnellement. Le botaniste Jean-Marie Pelt, fondateur de l’Institut européen d’écologie, à Metz, secoue la tête : « Désormais, même les étudiants qui veulent consacrer leur vie à l’écologie ne savent plus rien du monde des libellules, des têtards, des fougères ou des champignons – et ne leur demandez pas de s’orienter sans boussole ! Ils ne connaissent que la biologie moléculaire qui est abstraite, mentale, desséchante. » 

Ressentant ce dessèchement, nous sommes aujourd’hui des foules à avoir « soif de nature ». Une soif dont on s’aperçoit vite, à y regarder de près, qu’elle recouvre des attentes variées, rarement lucides, souvent ambivalentes. 

 

Des denrées rares 

Psychothérapeute cognitiviste, auteure de plusieurs ouvrages sur la gestion des émotions, dont le fameux « Comment apprivoiser son crocodile » (Robert Laffont, 2002), Catherine Aimelet-Périssol liste les besoins que cette soif de nature recouvre chez ses patients : « Ils sont en quête de cinq denrées rares : l’espace, le temps, le silence, la pureté et la beauté. Cinq facteurs dont l’absence rend la vie urbaine stressante, saturante, épuisante ; alors que la nature – qu’il s’agisse de la mer, de la montagne, de la forêt ou d’une simple campagne – est censée permettre de les retrouver à coup sûr. Tout ce qui rend la ville difficile doit trouver sa solution dans la nature où l’on pourra enfin respirer, se détendre, renouer avec ses horloges internes, dormir, rire, laisser libre cours à sa gourmandise et à sa sensualité, ainsi qu’à son goût pour la contemplation, bref, se retrouver soi-même. » 

La thérapeute ne nie pas le bien-fondé de ces attentes. Mais elle en souligne l’ambivalence : « D’un côté, nous voudrions nous abandonner à la nature pour nous ressourcer et “renaître” à notre condition originelle. Mais de l’autre, nous ne cessons – depuis des millénaires et cela s’accélère – de développer des techniques pour nous autonomiser le plus possible de la nature. Que vise la civilisation, sinon nous rendre indépendants de cette “terre mère” sauvage et tyrannique, voire terrorisante ? La terreur est d’autant plus forte que nous sentons confusément cette sauvagerie en nous-mêmes. »

Les tours operators qui organisent des expéditions en Antarctique, en Amazonie ou dans le Sahara n’ont, paraît-il, jamais été autant sollicités. Mais leurs voyages sont à ce point balisés et sécurisés que ce qu’ils nous proposent ressemble finalement plus à un spectacle en 4D, avec odeurs et sensations tactiles, qu’à un contact avec la « sauvagerie » : celle-ci a été éliminée. Quand le naturaliste et philosophe François Terrasson (1939-2006) organisait ses stages de « découverte de la nature », il n’avait pas besoin d’aller si loin : il vous emmenait dans la forêt de Fontainebleau et vous y laissait seul une nuit, avec un sac de couchage, mais sans lampe de poche, ni briquet, ni téléphone. Beaucoup de gens craquaient tant l’expérience faisait remonter en eux des peurs archaïques insoupçonnées.  

En réalité, la nature dont la plupart d’entre nous disent avoir si soif est un jardin. Je m’en suis rendu compte avec force à la fin des années 1980, quand des amis russes nous ont rendu visite et que je leur ai fait faire un tour de France. J’ai alors vu, par leurs yeux émerveillés, à quel point notre pays était cultivé depuis des siècles, planté, taillé, jardiné et ciselé. Des polders bataves ou picards aux deltas du Pô ou du Guadalquivir, toute l’Europe occidentale a été travaillée par des mains humaines. Des mains qui, souvent, se mirent au service de visions imaginaires : les paysagistes aiment raconter, par exemple, que la campagne de Toscane – que beaucoup décriraient comme une « nature sublime » – fut rêvée par des peintres comme Ambrogio Lorenzetti (1290-1348), bien avant d’exister matériellement. 

Ce « jardin Europe », dont la longévité multiséculaire dit assez qu’il fut pensé par nos ancêtres de façon intelligente, durable et écologique, nous pouvons l’habiter en pratiquant nous-mêmes le jardinage ou l’agriculture, des pratiques qui ont à nouveau le vent en poupe. Mais le plus souvent, avouons-le, nous ne faisons que traverser ledit jardin, à toute allure, en voiture ou en TVG. Comme si le seul fait de baigner nos yeux dans les couleurs des champs de blé, de luzerne ou de colza, suffisait à nous régénérer. Pourquoi pas ? Mais alors, quelle différence avec l’expérience de Natacha ?

Publié dans : NATURE |le 17 mai, 2014 |Pas de Commentaires »

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