RELATION INTIME ENTRE CREATEUR ET CREATURE
La relation intime entre le Créateur et sa créature se noue autour de ce que l’on peut nommer la co-création. On pourrait illustrer cette idée par la peinture de la chapelle Sixtine où le doigt d’Adam touche celui de Dieu. Participer à l’action de Dieu implique un contact. L’homme qui œuvre pour Dieu doit, pour ainsi dire, s’unir de volonté à Dieu, et accomplir ainsi la prière christique : « Que ta volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel ». (citation M.Claire Daupale – enseignante de philosophie).
Remarquons que cette relation entre l’homme et Dieu est dissymétrique, c’est à dire que les deux partenaires ne sont pas égaux : Dieu seul est Maître, c’est lui qui est à l’initiative de la co-création. Le partenariat entre l’homme et Dieu requiert donc de la part de l’homme d’accepter humblement de servir le Divin. L’homme serviteur n’est toutefois pas servile, bien au contraire, car c’est être livre que de choisir par amour de se mettre au service du Bien. L’homme est donc invité par Dieu à entrer dans une dynamique créatrice bienfaisante.
Une longue tradition mystique
Tout au long de l’histoire de la pensée, nombreux ont été les penseurs à constater que l’homme pouvait, pour ainsi dire, transcender sa condition misérable grâce au bon usage de la pensée (cf. par exemple les Pensées de Pascal, sur le « roseau pensant ») trouvant sa source d’inspiration dans l’entendement divin, ce qui n’est autre qu’entrer dans un processus philosophique et mystique de co-création. Si nous parcourons rapidement l’Histoire, nous rencontrons quelques jalons majeurs de cette tradition mystique. Dans l’Antiquité, les philosophes comme Socrate, Platon ou Plotin ont médité l’adage inscrit sur le fronton du temps des Delphes : « Connais-toi toi-même ». Il s’agissait de découvrir, par delà les manifestations personnelles du « petit moi » (ego), les capacités co-créatrices du « grand Moi » ou de l’Esprit ou encore du Moi divin résidant en chacun. La maxime de Delphes en redoublant le « toi » par le « toi-même » relie donc bien la partie humaine de chacun à sa partie divine. Autrement dit, pour se « co-naître » véritablement, et ainsi « re-naître » à une nouvelle vie, une vie créatrice (« co » provient du latin « cum » qui signifie « avec ») il convient d’associer, de relier notre humanité à notre éternité.
Afin d’illustrer cette idée, évoquons une interprétation mystique d’obédience plotinienne du mythe d’Hésiode (Hésiode, Les travaux et les jours) sur les différentes races : ce qui est présenté comme une évolution « temporelle », le passage de la « race d’or » à la « race de fer », peut se comprendre de façon symbolique. Ainsi, le fond de nous-mêmes serait en or (le Moi divin), alors que la périphérie de nous-mêmes (notre ego) serait de fer. Et il est vrai que l’Esprit en nous est précieux, rayonnant de beauté, résistant, contrairement à notre ego, dur, terne et altérable.
L’autre en miroir du Soi
Nous voyons là que la co-création s’effectue par un mouvement de conversion intérieure, par un recueillement qui permet de retrouver au fond de soi une jonction à Dieu. Ainsi, la co-création ne se manifeste à l’extérieur (engagements divers porteurs de bonté) que parce qu’elle est tout d’abord initiée de l’intérieur (union à la partie divine en soi). L’action qui découle d’une méditation véritable, d’une contemplation vivante, se reconnaît à sa clarté, à son éclat harmonieux, à la lumière apaisante qu’elle fait rayonner autour d’elle, à sa fécondité.
A ce mouvement unitif de soi à Soi (processus qui s’effectue dans le silence et le retrait), il convient d’adjoindre un mouvement co-créatif interpersonnel, c’est à dire qui s’effectue par la rencontre d’autrui (processus qui se réalise dans le don et la générosité). Comme tout être dispose d’une racine divine, c’est servir le Très Haut que d’honorer en l’autre son origine divine. La co-création ne peut donc qu’être fondée sur le respect de chacun, car elle repose sur la prise de conscience que toute vie est émanation de Dieu, c’est à dire que toute vie est sacrée.
Au Moyen-Age, la tradition des troubadours et de l’Amour courtois s’inscrit dans la lignée de cet enseignement. Le chevalier fidèle à sa Dame et à un code d’honneur exigeant, en s’inclinant devant sa belle, saluait en Elle son Esprit, symboliquement associé à la Vierge. Dès lors, l’amour de concupiscence (égoïste : prendre) se sublimait en amour de bienfaisance (amour altruiste : donner) : l’aimée, représentante de Maris, conduisait l’amant à se rendre aimable, donc vertueux. Ainsi, la co-création s’inscrit dans une mouvement de recentrement sur ce qui est divin en soi et en autrui, et de décentrement par rapport à ce qui est « humain trop humain » (Nietzsche) en soi comme en autrui. Se déprendre ou se départir de ses limitations égoïstes, de ses emprisonnements négatifs, de ses négations frileuses, requiert un travail conscient, des efforts répétés, des exercices quotidiens afin de faire fleurir les vertus dans le jardin de l’âme, qui devient alors un jardin de paradis. Ces fleurs du Bien résultent d’une poésie inscrite au cœur de nos quotidiens, gr^ce à « l’Alchimie du Verbe » qui transforme de façon co-créative le prosaïque en noblesse !
L’honnêteté comme clef spirituelle ?
Dans la période baroque (17ème siècle), des penseurs comme Leibniz ou Spinoza, de manière certes bien distincte, ont présenté des systèmes de pensée qui, chacun, articulaient la physique à la métaphysique et qui, de ce fait, était co-créatif. Pour Leibniz, l’âme est « miroir de Dieu et de l’univers », ce qui permet de spécifier la relation du fini et de l’infini. Co-créer dépendra donc de la limpidité de notre miroir intérieur. S’il est lisse et poli, c’est à dire si nos pensées sont claires et droites et nos sentiments nobles et purs, alors notre conscience pourra réfléchir (aux deux sens du terme) les beautés célestes, les splendeurs des espaces immatériels et en éprouver de vifs contentements, des béatitudes. Le principe leibnizien, « hneste vivere » (vivre honnêtement, avec probité ou intégrité) est une clef permettant d’ouvrir les portes de ces dimensions spirituelles. Le miroir de l’âme devient étincelant si on lui retire des opacités, il convient donc de procéder à des mises au point intérieures purificatrices ; se dépouiller des encombrements psychiques, émotionnels et intellectuels, qui paralysent la bonne action et qui se cristallisent en traits de caractère qualifiés de « défauts ». Ce terme indique d’ailleurs qu’il y a un manque à être, une restriction, une absence, car l’ego est coupé de la présence de l’Esprit. Le sujet est déconnecté de sa racine divine, il est donc privé de la sève régénératrice qui alimente son arbre de vie.
L’âme en joie
Quant à Spinoza, il présente le lien de la « nature naturée » (le créé, le fini, le matériel) à la « nature naturante » (la vie divine qui alimente en permanence la création). Tout ce qui est manifesté et limité découle de la substance divine, spirituelle et illimitée. Cette inscription de la matière dans l’esprit est, selon lui, une donnée initiale qui doit être méditée afin de disposer d’idées « adéquates » qui donnent accès à la « joie » et permettant de vivre « sub specie aetemitatis » (sous le regard de l’éternité). En retreignant nos pensées à une lecture où seule prévaut la rationalité matérielle, et donc la finitude de notre condition incarnée, nos idées sont « inadéquates », car partielles, courbées vers la terre : elles ne sont pas habitées par le mouvement de la substance divine qui abreuve l’âme de joie, de clarté. Agir « sous le regard de l’éternité, c’est être capable de relier les phénomènes apparents, séculier,s temporels, à leur origine inapparente, éternelle ou divine. Notre participation à la nature divine augmente nos perfections : cette jonction instaure en l’âme des affects joyeux et aimants.
Un élan créateur
Enfin, pour achever ce rapide tour d’horizon historique, évoquons un auteur plus contemporain tel que le philosophe Bergson (cf. les deux sources de la morale et de la religion). Selon ce dernier, il convient de quitter le moi superficiel qui n’appréhende le réel que selon des catégories spatialisantes (donc tournées vers l’extérieur de soi) pour retrouver son « moi profond », source d’intuitions et d’énergies créatrices. Le moi limité se reconnaît à son engoncement mécanique dans les habitudes sclérosées, alors que le moi pleinement conscient fait preuve de liberté, d’inventivité, d’ingéniosité, d’aptitude à opérer des choix féconds. Pour ce philosophe, ceux qui disposent pleinement d’une conscience éveillée ne peuvent qu’adhérer à une « religion dynamique » (distincte d’une religion statique) et ne sont autres que les grands mystiques qui, à ce titre, peuvent valoir comme modèle éthiques, comme initiateurs de renouveaux prometteurs pour l’humanité. Ainsi, du fait de leur capacité d’union à la volonté divine, chacun d’eux transforme de façon inédite son humanité de sorte qu’elle devient réceptrice d’une énergie pure, réellement « émouvante » (comme leur coeur est touché, la conscience de ceux qu rencontrent ces saintes personnes est mise en mouvement).
La co-création : moyen d’éveil spirituel
Une fois admise l’idée que la co-création es tune notion mystique qui désigne la jonction entre la matière et……. (lire la suite sur MEDI@M n°3) www.universite-libre-des-valeurs.com