Pourquoi il faut se méfier des voyant(e)s
Éliane Gauthier n’est pas une voyante comme une autre. Son art se rapproche plus de la psychothérapie que de la superstition. Souvent, quand des gens en difficultés viennent la consulter, elle frémit en constatant qu’une part de leur problème tient à ce qu’une voyante a étourdiment « cristallisé » un jour, sous forme de prédiction, ce qui n’était encore qu’un possible parmi d’autres.
Pour Éliane Gauthier – qui fut aussi une comédienne connue : c’était elle qui jouait l’amie de Casimir le dinosaure dans l’émission « L’île aux enfants » – l’intuition d’une voyante doit au contraire servir à affermir la liberté de la personne. Jamais, elle ne se permettrait de fermer l’éventail des possibles de quelqu’un. Eliane Gauthier est une voyante que l’on pourrait dire « post-moderne » : elle est lucide et sait combien l’art qu’elle exerce est à double tranchant et pourrait, si elle n’y prêtait garde, enfermer l’esprit de la personne qui consulte dans une prédiction-prescription hypnotique – alors même que le but est de l’aider à devenir libre ! Elle s’en expliquait clairement dans J’ai rendez-vous avec moi - Quand la voyance devient thérapie , Éliane Gauthier, éd. Anne Carrière.
Quatre ans plus tard, elle a repris le sujet avec encore plus de rigueur dans La voyante et le psychiatre , qu’elle a écrit avec Jean Sandretto (éd. Almora), un
psychiatre-psychanalyste courageux, qui a su emporter des victoires contre la psychose autrement que par la chimie et a souvent publié dans la très rigoureuse revue Topique. On aimerait que tous les psychiatres soient, comme lui, non seulement passionnés par les sciences d’avant-garde, de la mécanique quantique à l’EMDR en passant par les réelles avancées psychanalytiques (tel le processus originaire de Piera Aulagnier, qui fut sa formatrice), mais aussi pratiquant de techniques de méditation ouvertes sur le cœur – franc-maçon, Sandretto a en outre découvert, stupéfait, la puissance des techniques kabbalistiques… Ensemble, Eliane Gauthier et Jean Sandretto ont en commun un mélange de curiosité, de compassion et d’humilité. Ils ont décidé d’échanger, pendant plusieurs mois, à raison d’une conversation par semaine, sur leurs pratiques respectives. Le résultat est très intéressant – avec des rebondissements stupéfiants (d’une magie pleine d’humour) d’une séance à l’autre !
Pour les passionnés, sachez qu’Eliane Gauthier, toujours passionnée de théâtre, sera présente cet hiver, en janvier 2007, à Sceaux, où son «Dialogue improbable » sera joué au théâtre des Gémeaux… où les questions qu’elles soulèvent feront l’objet de deux journées de débat. (contact : 01 46 60 05 64).
Nouvelles Clés : Vous avez écrit plusieurs livres sur la voyance mais vous n’aimez pas le mot. Vous avez suivi une carrière de comédienne tout en tirant les cartes, mais en disant qu’il fallait se méfier de l’intuition. Pourquoi ces paradoxes ?
Eliane Gauthier : C’est l’idée d’un “ avenir écrit ” qui me déplaît dans le mot voyance et que mes livres visent à combattre. Quant à la méfiance, elle s’adresse en premier lieu à l’intuition directe, quand on est juge et partie, pris dans sa propre histoire. Nous sommes faits de strates différentes, l’intuition juste est une réponse que nous portons au plus profond de nous, dans ce lieu de silence intérieur accessible seulement par la méditation, la prière, le décrochement de l’ego en tant que bruit. Mais nous sommes aussi un mélange de peurs et de désirs qui font écran à cette véritable intuition. Le “ moi je ” nous conduit alors sur une fausse route. Souvent, quand des gens dont vous connaissez la problématique disent : “ Ah oui, je sens bien ça ! ”, vous vous apercevez que leurs paroles sont parasitées par ce qu’ils projettent de leur histoire dans leurs sensations. La réponse n’est pas pure, pas décantée, elle n’est pas dans ce jaillissement que seul le silence de l’ego peut apporter. Malgré mes capacités intuitives, par exemple, qui “ marchaient ” si bien pour mes amis, il m’a fallu des années pour arrêter d’avoir la certitude, à chacun de ses retards, qu’un accident grave était arrivé à l’homme avec qui je vis. Il m’a fallu comprendre, grâce à la thérapie, combien cette peur avait été ancrée en moi par la mort successive des hommes de ma famille. J’ai cessé depuis longtemps de me tirer les cartes. Cela ne marchait que lorsqu’il s’agissait de sujets qui n’avaient pas d’importance pour moi !
N. C. : Ou lorsque les autres vous consultaient, d’où votre parcours de voyante ?
E. G. : Enfant, j’avais le bon “ profil ”. Une amie de ma mère l’a repéré, m’a enseigné, sans que j’y prête grande attention, les rudiments de la symbolique des cartes. C’était amusant. Plus tard, jeune comédienne, quand je lisais les cartes pour les copains, j’étais dans cette lecture immédiate, cette prédiction à la madame Irma. Je m’en suis dégagée car je trouvais cela terrifiant : avec tout ce que j’avais vécu, j’avais déjà suffisamment tendance à croire en la fatalité ! Puis, à travers la psychanalyse et la descente vers l’inconscient, j’ai découvert ma part de liberté. Je me suis dit : jamais je ne retournerai vers les cartes ! Mais on continuait à me solliciter – mes “ prédictions ” marchaient ! La thérapie et mon travail avec des psychiatres m’ont alors permis de comprendre la nature de ce que je saisissais : le matériau à l’état brut de l’inconscient. Son langage est symbolique comme celui des cartes, et il n’a aucun sens du temps, ce qui éclairait d’un jour nouveau l’idée de prédiction. Au sein de ce continuum, l’avenir n’est écrit que si l’on ne fait rien pour le changer. Il m’a semblé que je pouvais au contraire, avec mon langage, l’écoute de l’inconscient et des symboles qui me passaient des petits messages, décoder innocemment cette réalité présente en l’autre, parfois recouverte par des problèmes, et aller vers les informations positives pour l’aider à ne pas provoquer dans l’avenir ce qu’il avait vécu dans le passé, en travaillant sur ce passé, sur lui. C’est une imposture de prédire l’avenir, par contre l’inconscient est comme un phare qui éclaire la route. Il y a un choix.
N. C. : De là votre réticence envers la voyance classique ?
E. G. : Vous voyez déjà qu’il faut un état de grâce – évitant la connotation spirituelle, j’emploie le mot silence -, pour toucher ces réponses sans les déformer et les embarrasser avec tout ce qui s’interpose comme idées préconçues, apparences, influences, pressions conscientes ou non, etc… Mais face à une autre personne, il y a un problème plus grave : ce n’est plus seulement la question de l’intuition qui se pose mais celle de la créativité de notre pensée dans l’avenir. Si en restituant une intuition vous appuyez sur le négatif, vous devenez coauteur de cette négativité, vous l’orchestrez et risquez fort de la faire s’incarner dans l’avenir de l’autre.
N. C. : Il faut donc se censurer ?
E. G. : : Pas exactement. Une intuition peut annoncer un événement dramatique ; si elle est juste, une certitude se fait en nous, nous réunit avec nous-même, je parlerais presque de paix. Une voyance qui fait mal n’est pas juste, elle est encombrée des projections du voyant, l’inconscient le sait et se met en turbulence, on l’a égaré. Alors qu’une intuition juste ne fera pas mal, parce qu’elle met devant la réalité, je ne dis pas qu’on soit heureux, mais on est calme, face à la vérité. Il s’agit pour le voyant de ne pas faire de cette intuition une dynamique négative dans l’avenir, mais de transmettre le message émis par l’inconscient comme l’annonce d’une épreuve de compréhension de soi-même et des obstacles intérieurs. Je ne prétends pas que l’on fasse la pluie et le beau temps, mais souvent les gens restent à se dire que leur vie est un échec, ce faisant ils tournent le dos à la porte et quand elle s’ouvre, ils ne le voient pas. Et ils pensent qu’elle a toujours été fermée. Gardons pour nous les intuitions qui risqueraient de renforcer ce genre d’idées !
Vous pouvez laisser une réponse.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.