la communication des plantes
Les plantes communiquent-elles avec leurs congénères ?
Bruno Moulia : On connaît plusieurs messagers chimiques, tels le jasmonate ou l’éthylène, qui sont échangés entre individus. Par exemple, en Namibie et en Afrique du Sud, les antilopes koudous mangent les feuilles des acacias. Certains ont voulu élever cet animal et en ont parqué plusieurs dans des enclos plantés d’acacias. Tous les koudous sont morts ! Les autopsies ont révélé qu’ils étaient morts de faim, malgré leur panse pleine. Ils ne digéraient pas les feuilles qui étaient recouvertes de tanins. La raison est que, lorsqu’il est dérangé, un acacia produit ces molécules toxiques et surtout émet de l’éthylène qui signale aux autres le danger : ils fabriquent eux aussi des tanins. En liberté, les koudous évitent cet inconvénient en remontant le vent, vers des arbres qui n’ont pas été alertés. Ce n’est qu’un cas de communication végétale parmi de nombreux autres. De fait, en laboratoire, les expériences doivent tenir compte de ce phénomène, quelles que soient les plantes et même en l’absence de lésion !
Qu’en est-il de la perception mécanique ?
Bruno Moulia : Les végétaux comme les animaux perçoivent les forces qui s’exercent sur leur organisme par la déformation des cellules. De la sorte, une plante qui est courbée par le vent perçoit la déformation et adapte sa croissance en conséquence. D’un point de vue évolutif, l’un des enjeux est de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Un arbre doit être prêt à affronter une tempête avant qu’elle ne se déclare. Les végétaux sont ainsi dotés de nombreux systèmes de perception mécanique pour analyser leur environnement et s’y adapter. On connaît de mieux en mieux les rouages moléculaires sous-jacents.
D’abord, plusieurs milliers de gènes ont leur expression modifiée lors de cette perception mécanique. Les voies de la mécanoperception impliquent des canaux, insérés dans les membranes, qui laissent passer les ions calcium. La perméabilité de ces protéines dépend de l’état de tension des membranes : plus celles-ci sont étirées, plus les canaux sont ouverts ! Notons que des canaux fonctionnant de façon similaire participent au sens du toucher chez les animaux.
Dans la cellule, les ions calcium sont reconnus par des molécules nommées calmodulines, l’association déclenchant alors une voie de transduction qui conduit à la modification de l’expression des gènes.
Le cytosquelette est également très sensible aux contraintes mécaniques. Cette armature est reliée à la paroi cellulaire par des molécules particulières. En outre, la cellule est soumise à la pression de turgescence de la vacuole qui comprime le contenu du cytoplasme à la périphérie (jusqu’à une dizaine de bars) Au final, tous ces éléments sont solidaires, et chaque déformation se répercute au niveau de la cellule. Selon certains, le noyau lui-même serait déformé…
Cette perception mécanique a-t-elle des applications ?
Bruno Moulia : On exploite la thigmomorphogenèse, par exemple en « secouant » un peu les plantes en intérieur pour les renforcer avant de les sortir. Avec l’inra d’Angers, nous avons mis au point un système d’endurcissement des roses. En effet, cultivées sous serre, ces fleurs sont fragiles mécaniquement et s’effondrent parfois sous leur poids une fois cueillies. Pour y remédier, des sortes de barres passent régulièrement parmi le couvert végétal et ploient les tiges pour les solliciter mécaniquement afin qu’elles se renforcent.
Les plantes perçoivent-elles la gravité ?
Bruno Moulia : Elles le font de deux façons. Un mécanisme basal, peu efficace, est fondé sur la perception de la déformation des membranes sous le propre poids du végétal. Les plantes terrestres ont également développé un système plus complexe constitué de cellules particulières où des grains d’amidon, nommés statolithes, circulent dans le cytoplasme et peuvent sédimenter selon le sens de la gravité.
Cependant, le liquide étant très visqueux, les déplacements sont lents. Aussi les statolithes mettent-ils du temps avant de toucher une membrane et que leur position soit détectée. En conséquence, le système réagit peu aux accélérations rapides, tels les coups de vent. En revanche, la plante perçoit qu’elle est installée sur un sol incliné et peut donc adapter sa croissance.
Chez les plantes, un autre sens important est la proprioception. Les animaux, et donc les humains, en sont aussi dotés. Outre nos cinq sens, nous sentons également la déformation de nos tendons et celle de nos muscles. Ces informations, complétées par d’autres sur la pression sous nos pieds, notre environnement visuel et la position de notre oreille interne, nous renseignent sur notre posture. De même, les végétaux ont une perception diffuse de leur état de déformation qui leur permet de contrôler leurs propres mouvements.
Cette proprioception des plantes a longtemps été sous-estimée. L’idée qu’une plante se tient en posture verticale de la même façon qu’un poteau fiché dans le sol – juste parce qu’elle est rigide – est une erreur. C’est oublier qu’une plante croît en permanence : sa masse, son port, les courbures de ses éléments varient sans arrêt au cours de sa vie. Or, sans information posturale ni réaction motrice appropriée, la station verticale serait impossible. Par exemple, dans la branche d’un pommier qui ploie sous le poids de ses fruits, le dépôt, permanent, de nouveau matériau se moulerait sur la déformation et la stabiliserait. D’année en année, l’arbre deviendrait inéluctablement pleureur !
Ce problème d’instabilité lente de la station érigée chez les plantes est compensé par un contrôle postural qui influe sur la croissance. La pression dans les cellules ainsi que des bois particuliers qui se rétractent en certains endroits constituent les moteurs nécessaires à ce contrôle. Mais les plantes doivent aussi recueillir des informations sur les déformations créées par leurs mouvements. On a affaire à une proprioception très élaborée et presque aussi complète que chez les êtres humains !
Certains affirment que les plantes entendent…
Bruno Moulia : Grâce à quelques études expérimentales probantes, on sait que les plantes sont sensibles aux sons, mais une équipe a récemment proposé qu’elles pourraient percevoir plus particulièrement ceux émis par leurs voisines. Ces sons sont multiples, il peut s’agir de craquements mécaniques ou bien de ceux résultants de l’évaporation par les feuilles : ce phénomène entraîne parfois l’apparition de bulles dans les vaisseaux transporteurs de sève (on parle d’embolie) qui se traduisent par des claquements ; ce phénomène est de la cavitation. Toutefois, ces résultats sont débattus, la question étant de savoir si toutes les autres sources de communication possibles ont été bloquées. Quoi qu’il en soit, le sujet se développe.
Chimique, lumineux, mécanique, voire sonore… les plantes sont très sensibles à leur environnement et le perçoivent de multiples façons. C’est aujourd’hui admis, mais de nombreux obstacles ont dû être surmontés pour que des résultats obtenus en laboratoire soient validés dans des conditions naturelles. Les arbres sont tout aussi sensibles que les humains !

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