Des paroles et des actes
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Parler, toutefois, semble à certains moments un peu vains. Qu’est-ce que cela change ? Ce ne sont pas les mots qui peuvent s’affronter à la mort. Ce ne sont pas eux qui peuvent la déplacer ou la modifier.
Eh bien, je crois qu’il faut avoir le courage de refuser le terrorisme de ce genre de propos. À mon sens, les mots, quand ils sont parole, quand ils sont portés par un acte réel de communication, sont bel et bien en mesure de changer la mort. Ou plus exactement de nous changer en face d’elle.
Comment cela se peut-il ?
Chacun sent intuitivement que certains mots n’ont rien d’essentiel à dire et par conséquent ne parlent pas. Ce sont les mots de la curiosité lancinante sur l’au-delà ou des explications techniques et scientifiques sur les processus de la fin. Tout cela a utilité dans son ordre. Mais ce n’est pas cela qui parle de la mort à nos libertés et à nos désirs profonds.
Pour que des mots deviennent parole, il faut donc qu’ils soient mis sur une orbite autre, celle de la relation entre les êtres. Quand un malade « au stade terminal » ose dire son angoisse, quand il a aussi la chance d’écouter quelqu’un qui l’invite dans la liberté à choisir ce qu’il veut faire ou être et par conséquent à échapper à une fatalité inexorable, il arrive que son mal connaisse un répit et que lui-même redécouvre ce que c’est que vivre. De manière analogue mais évidemment en un autre domaine, on peut dire que la foi en la parole évangélique peut avoir de tels effets. Elle sauve. La peur de la mort peut continuer à être là. Mais sur son sol pousse une conviction ensemencée par la confiance en Jésus-Christ.
Toutes proportions gardées, il me semble que les paroles humaines que nous échangeons entre nous à propos de la mort peuvent, elles aussi, avoir valeur d’actes.
Tout d’abord parce que l’expérience commune de la mort doit se dire pour trouver sa forme suffisante. Les mourants ont parfois besoin de parler et d’écouter. Tous les vivants, quel que soit leur âge et quelle que soit leur santé, ont droit à la parole et aussi devoir d’écoute, lorsqu’il s’agit de l’indicible horizon que l’on nomme la mort.
Ensuite parce que l’audace de parler met en jeu et en mouvement des secteurs de notre existence qui deviennent, à la longue, incompatibles avec ce que nous osons dire. Peut-on parler avec quelqu’un de sa mort à lui et de la mort pour soi, si l’on cautionne des formes d’existence économique et politique qui tuent, éliminent et excluent ? Peut-on parler de la mort, avec la discrétion voulue et le courage requis, quand on laisse l’injustice s’afficher avec indiscrétion ? Je me contente de noter ce second point sans vouloir insister trop. Mais on aura compris que le sens de la mort se trouve, évangéliquement au moins, dans la logique de Dieu et dans sa fidélité à son Fils. Peut-on miser sur cette cohérence sans, du même coup, se sentir appelé à tout faire pour que d’autres cohérences existent et que, sous tous les cieux, la mort ait, autant que possible, visage humain ?
Voir le livre : La mort. Sa signification chrétienne.