La mort et les ennéatypes
La mort, l’agonie et les ennéatypes
Arnaldo Pangrazzi
(Traduction par Murielle Gardret)
Faire face à son destin
Dans la vie, la seule certitude, c’est la mort. C’est le seul évènement qui rassemble pauvres et riches, blancs et noirs, croyants et athées, ignorants et intelligents.
Pour certaines personnes, la mort arrive soudainement ou trop tôt ; pour d’autres, elle arrive après une longue période d’attente.
Cependant, pour tous, sa présence rappelle la précarité de l’existence et l’inévitable séparation.
Même si la mort reste l’évènement par lequel nous mesurons la valeur de l’existence, elle est rarement sujet de réflexion ou de partage. Instinctivement, l’homme moderne se tient à l’écart de la confrontation avec la mort ; à cause de cela, il ne vit pas sa vie pleinement.
En réalité, la vie et la mort sont les deux faces d’une même pièce de monnaie : chaque naissance est pleine de mort et chaque mort est pleine de vie. La sagesse consiste à vivre pleinement notre vie tout en contemplant la mort à venir, à être pleinement conscients que nous allons mourir tout en appréciant le don de chaque jour.
Comme l’aventure de la vie est teintée des caractéristiques de notre ennéatype, le voyage vers la mort montre les divers traits et sensibilités de notre profil.
Le but de cet article est d’offrir des réflexions sur la mort et l’agonie. Il commence par une approche culturelle du problème et étudie ensuite la fonction des trois centres par rapport à l’expérience de la mort.
Arnaldo Pangrazzi est Membre du Comité de Direction de l’IEA, professeur au Camillianum à Rome, à l’Institut International pour la Théologie des Soins de Santé Physiques et Moraux et Président de l’Association Italienne de l’Ennéagramme. Il nous dit :
Perspective culturelle de la Mort dans le cadre de l’Ennéagramme
Nous sommes tous des enfants – non des esclaves – de la culture à laquelle nous appartenons. Dans ce contexte, la culture est l’ensemble des attitudes, croyances et comportements qui sont généralement adoptés avant l’agonie et la mort.
Dans le cadre de la culture occidentale prédominante, nous pouvons dénombrer neuf attitudes récurrentes qui contribuent à déshumaniser la mort. Ces attitudes (ou obstacles à accepter la mort comme faisant partie intégrante de la vie) peuvent également être analysées dans le cadre de l’Ennéagramme, non tant pour montrer les difficultés rencontrées par chaque ennéatype, mais davantage pour saisir les tendances qui, d’une certaine façon, rappellent les neuf types :
- Acharnement thérapeutique
- Paternalisme
- Efficacité et euphémismes
- Dramatisation
- Technologie
- Institutionnalisation
- Hédonisme
- Déni
- Fatalisme
Ce qui suit est une étude portant sur la façon dont les obstacles se révèlent et comment ils nous empêchent de vivre pleinement la dernière étape de notre vie : la mort.
1. Acharnement thérapeutique
Certains ont tendance à rechercher les meilleurs hôpitaux et à accorder leur confiance aux traitements les plus modernes afin de ne pas se sentir coupables de ne pas avoir fait tout ce qui était possible.
De nos jours, beaucoup de gens meurent entourés par un équipement sophistiqué et par la science la plus développée, mais ils manquent souvent de chaleur humaine et de proximité. Il y a une opiniâtreté thérapeutique qui se reflète dans l’idéalisation de la médecine et dans l’excès d’efforts pour redonner vie, même si on a un pied dans la tombe. L’accent excessif mis sur la biologie diminue souvent la vision holistique de l’homme, laquelle est beaucoup plus large que la dimension physique.
2. Paternalisme
Dans diverses cultures, la culture latine par exemple, ce qui compte le plus est la tendance à protéger ses proches en ne leur disant pas la vérité au sujet de leur état de santé. Par la « conspiration du silence » et un amour protecteur manifesté par des mensonges, le mourant est privé d’un rôle et de sa dignité dans le processus de la mort.
De ce fait sont perdues à jamais des occasions précieuses d’aimer le plus authentiquement, ainsi que de partager des émotions et moments inoubliables. Les difficultés éprouvées par les adultes sont transmises aux enfants. Les protéger de la tristesse les rend incapables de faire face à la réalité devant les évènements inévitables de la vie. Parfois, les attitudes paternalistes des médecins privent également les mourants de leur dignité et de leur droit à choisir.
3. Efficacité et euphémismes
Nous vivons dans un monde qui ne cesse de faire valoir l’efficacité, la productivité et le pragmatisme. Cet esprit se retrouve souvent dans le processus de la mort. Celle-ci est approchée selon la notion d’efficacité, sans humanité et sans beaucoup d’attentions malgré les apparences. Quelquefois, cette tendance dépourvue d’humanité se rencontre chez le personnel des entreprises et institutions de soins ou de pompes funèbres qui approchent la mort d’une manière très détachée (ex : l’embaumement).
Une autre façon de masquer le malaise dans la culture occidentale est l’utilisation d’euphémismes utilisés pour réduire l’impact cruel de la mort et la rendre plus douce. Le langage devient un indicateur de notre capacité à nous tromper nous-mêmes. Par exemple, le mot « cancer » est remplacé par « la tumeur », « une longue et douloureuse maladie », « cette maladie qui ne pardonne pas ». Les avis nécrologiques ne disent pas « Untel est mort », mais utilisent des expressions plus vagues et moins définitives telles que « il nous a quittés », « elle s’en est allée », « il s’est éteint », « elle n’est plus avec nous ».
4. Dramatisation
Dans les pays méditerranéens, la mort incite souvent à des réactions dramatiques qui sont à l’opposé d’une attitude de sang froid et de dignité. Le lit de mort devient la scène d’une procession de visages tristes, où les personnes chères peuvent avoir des gestes et rituels chargés d’émotions excessives telles que des réactions hystériques et des larmes spectaculaires.
D’un autre côté, il y a un besoin de magnifier le corps au point d’utiliser du maquillage pour le rendre plus beau. Les adieux et les propos qui rappellent à quel point la personne décédée était bonne rendent le chagrin des survivants plus immense encore. La mémoire du défunt est honorée au travers d’inscriptions figurant sur la tombe et témoignant d’un émotionnel intense comme : « il n’y a pas de nuit si longue qui ne soit suivie de l’aube. »
5. Technologie
L’expérience de la mort, surtout dans le monde occidental, est confiée davantage à la technologie qu’au coeur humain. Le meilleur exemple en est la salle des soins intensifs remplie de moniteurs, d’équipements sophistiqués, et de techniciens et médecins hautement qualifiés.
Le risque est qu’ils entretiennent un rapport impartial avec la mort, en marquant les données concernant le patient sur des graphiques, et en apportant une aide médicale dénuée de toute implication émotionnelle. En ce sens, mourir devient un voyage solitaire vécu dans l’ombre de la technologie, mais privée d’humanité et de chaleur. Dans les dernières heures, le contact avec la famille et les amis est limité au minimum.
6. Institutionnalisation
La majorité des gens continuent à mourir en institutions (hôpitaux, maisons de retraite…), bien qu’il y ait une tendance croissante à mourir chez soi.
Pour les familles, il est difficile de se charger du défunt. Elles ont peur de commettre des erreurs, et préfèrent déléguer cette tâche aux institutions professionnelles au lieu de faire confiance en leurs propres capacités d’aimer. Les institutions avec leurs règles, leurs procédures et leurs ressources offrent aux anxieux une fallacieuse impression de sécurité. En même temps, elles empêchent une expérience de la mort plus personnelle et enrichissante.
7. Hédonisme
De nos jours, dans une ambiance hédoniste, les gens essaient par n’importe quel moyen d’échapper à la douleur et à la souffrance. Face à la mort, certains plaisantent pour essayer ainsi de lui retirer son pouvoir. D’autres utilisent un humour souvent cynique pour cacher leurs souffrances. D’autres encore trouvent des excuses pour ne pas rendre visite au défunt, ou ne pas faire face à la réalité douloureuse de la séparation.
En regardant la télévision, nous voyons de multiples morts, en tant que distraction qui nous éloigne de la réalité. En 4 à 5 heures de programmes, une jeune personne peut voir jusqu’à 12.000 morts ou agonisants, mais il est rare que cette même personne ait déjà été présente aux funérailles d’un membre de sa famille, ou soit allée se recueillir sur leur lit de mort. Cela serait trop traumatisant psychologiquement. La civilisation de consommation et de plaisir n’est pas préparée à faire face à la réalité de la vie.
8. Déni
Une autre manière, présente dans toutes les cultures, de déshumaniser la mort est le déni. Celui-ci est le refus de notre propre mort et de celle de nos proches. Par conséquent, le mourant et la famille proche se comportent comme si la mort n’allait pas survenir. En médecine, accepter la mort est perçu comme une défaite et comme l’abandon d’un espoir.
Regarder la mort en face signifierait se réconcilier avec sa propre vulnérabilité et impuissance, accepter son destin. Or, ceci n’est pas acceptable et la tendance est de se rebeller contre cela.
D’un autre côté, accepter la mort, c’est vivre sa vie pleinement et se livrer au mystère de l’existence.
9. Fatalisme
Dans certaines cultures en Afrique et en Asie, une attitude plus fataliste prédomine face à la mort. Cette attitude peut, à vrai dire, réduire la durée de vie. Beaucoup se résignent au niveau médical, et sur le plan psychologique, et renoncent à faire quoi que ce soit qui pourrait améliorer leur condition.
Les mourants et leurs familles adoptent une attitude de passivité leur permettant de se laisser porter par les évènements et les décisions des autres, au lieu d’être acteurs de leur propre destin. Ils suppriment des sentiments comme la colère qui pourrait les pousser à prendre des initiatives, et à conduire des projets améliorant la qualité du temps qui reste à vivre.