Les secrets d’un départ
Une autre image de la mort et de l’acte de mourir, c’est le départ. Symbolique présente sous tous les cieux, en Afrique comme en Asie, en Europe comme au Japon. Les morts s’en vont en compagnie de cette puissance ombreuse et coureuse de grands chemins, amicale pourtant, qui vient les chercher.
« Ceux qui n’ont pas senti qu’il y a dans la mort / le secret d’un départ chavirant de voyages /ne seront que des morts stériles pour la mort »
Le christianisme considère que ce pouvoir accordé à la mort ne doit pas être excessif. C’est bien elle qui passe. Mais c’est Dieu qui appelle : « accueille, Seigneur, l’âme de ton serviteur ou de ta servante que tu as voulu appeler de ce monde vers toi » . Dans l’antiquité, les inscriptions funéraires chrétiennes portaient souvent la formule « appelé par le Seigneur ». Autrement dit, pour les chrétiens la mort est « vocation », elle fait partie de leur vocation et en est la dernière forme terrestre. Mais alors elle est mystérieusement devenue parlante. Car c’est Dieu qui parle en elle, à son propos. Le mourant est nommé par son nom. Il ne suit pas la mort silencieuse, il va vers Celui d’où il tire son identité profonde.
Un malentendu est, certes, possible ici. En lisant certains avis de décès, où il est dit : « il a plu à Dieu de rappeler à lui son serviteur ou sa servante », on a l’impression que c’est Dieu lui-même qui décide ou veut la mort. Ce qui est bien étrange pour le Dieu de la vie et de l’amour. Mieux vaut dire, semble-t-il, que c’est la mort qui opère. Dieu ne fait jamais tout en nous. Mais quand la mort vient, c’est Dieu qui parle. Ce faisant, il ne rappelle pas, comme on met fin à une expérience qui est parvenue a son terme. Mais il appelle simplement. Comme toujours. Comme au premier matin. Dans la mort, Dieu continue d’être ce qu’il est dans la vie, celui qui provoque, convoque et parfois même semble « invoquer » ces êtres de réponse que nous sommes.
Ainsi donc, pour les chrétiens, le grand départ ne se fait pas en compagnie de la seule mort mais aussi et surtout en compagnie avec Dieu. Le poète peut évoquer l’étrange convoi de la mort qui vient, mais dans la brise discrète c’est Dieu qui fait signe. Le bruit n’est-il pas alors de trop ?
« Voici les chars qui montent dans la nuit./ Voici que vient nous envahir la mort. / J’entends grincer les essieux sous la pluie »
Comment ne pas évoquer, à l’inverse de ce tintamarre, l’étonnante manifestation de Dieu à Élie, dans la montagne de l’Horeb ? Dieu passe. Mais il n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Il s’indique et se suggère par « le bruit d’une brise légère » (1 R 19,12). Ainsi en est-il lors de la mort. Est-ce un passage de Dieu ? En tout cas, c’est un passage de l’homme en direction de qui l’appelle. Est-ce une visite de Dieu ? En tout cas, c’est le départ d’un appelé, de bon matin comme il se doit, dans une lumière encore incertaine et qui n’a pas livré toutes ses promesses, pour une visitation de Celui dont il entend la voix.
Voir le livre : La mort. Sa signification chrétienne.

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