Quelques grandes représentations de la mort
Le premier schéma d’ensemble de ce que c’est que mourir, c’est celui de la séparation qui s’établit non seulement entre le mourant et les vivants mais aussi à l’intérieur de celui ou de celle qui s’en va. J’ai parlé, il y a un instant, d’une destructuration de la vie par la mort. Sur cette symbolique se déploient des significations diverses que l’on peut ramener à l’idée d’une libération de l’âme. Dans l’humanité, abondent les réflexions sur l’identité de cette âme humaine, sur son immortalité, sur son mouvement vers l’au-delà. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Un deuxième schéma de pensée au sujet de la mort consiste à intégrer l’acte de mourir dans une loi d’ensemble qui régit l’univers. En ce sens, la mort est pour les humains une manière d’avouer qu’ils sont du monde et (lue leur originalité au royaume de la vie ne les met pourtant pas à part de ce qui marque toute existence vivante. Mourir, dit Jésus selon saint Jean, c’est comme ce qui arrive au grain de blé qui tombe eu terre ; « s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » . Symbolique fréquente dans les cultures humaines, sur laquelle s’appuie une réflexion multiple qui dit la fécondité de la mort à cause de la vie qui la ti-averse et ne s’annule pas en elle.
Ce même thème est susceptible de se donner des images très variées. Celle de la métamorphose de la nuit en jour, de la neige en eau, de la chenille en papillon. Le christianisme oriental ancien a aimé, dans le même sens, considérer la mort comme la venue au jour d’un être qui sort de la nuit maternelle où il était en gestation . Certains de nos contemporains, abandonnant les symboliques biologiques, ont préféré comprendre la mort comme un passage de relais dans la chaîne des générations. D’autres, dans une perspective un peu différente, méditent sur quelque réincarnation qui relancerait vers d’autres horizons une vie qui n’a pas eu le temps de s’achever avant la mort. Contentons-nous, pour l’instant, de relever ces figures et d’en percevoir la forme de pensée. Sous ces variations, un même thème est affirmé, celui de la cohérence entre la mort et la vie, l’une et l’autre échangeant leurs services.
Un troisième schéma me semble s’inscrire dans une tout autre perspective. C’est celui de la parole divine destinée aux mourants et dont vivent les morts. Le christianisme fait sienne cette représentation. Il n’ignore évidemment pas les deux schémas précédents. Il sait, parfois presque à l’excès, qu’il y a en nous de l’immortel et que l’âme traverse la mort sans perdre au passage son nom et son identité. Les chrétiens n’ignorent pas non plus que la mort fait partie de la vie et que l’univers est une grande symbolique qui évoque la loi du cosmos pour éclairer l’acte humain de mourir. Mais ces deux manières de comprendre la mort ne suffisent pas à la foi. Car elles ne sont pas assez parlantes.
Il leur manque de porter une voix que les mourants puissent entendre sur le versant disponible de leur être perturbé. Faisant mémoire du Christ et de son agonie à Gethsémani, la foi chrétienne croit que Dieu se fait entendre mystérieusement, paradoxalement, à l’heure de la mort. Certes, son appel est alors inattendu, plus surprenant encore que celui qu’il adresse au cours de la vie. Mais que l’on n’aille pas imaginer qu’il est recouvert par le silence. Luc a éprouvé le besoin de faire intervenir à Gethsémani l’étrange figure d’un ange (22,43). Pour qu’il soit bien dit que Dieu était là, malgré tout. »
Voir le livre : La mort. Sa signification chrétienne.