L’élément Feu est sans doute le plus voyant dans les pratiques Chamaniques. En effet, dans les cérémonies traditionnelles, un Feu est allumé, il est le centre de toutes les intentions des officiants et des participants. Les cérémonies ont lieu le plus souvent la nuit, le Feu apporte la lumière et permet d’échapper, au sens propre et symbolique, à l’obscurité.
Le Feu est symbole de régénérescence, il consume ce qui n’est plus nécessaire de garder en soi, pour laisser la place à la renaissance qui tend vers une nouvelle perspective de vie.
Le Feu est considéré par les Celtes comme un peuple à part entière avec ses Esprits inférieurs et supérieurs. C’est donc avec respect, mais aussi avec une certaine crainte, que le gardien du Feu (l’homme qui a pour responsabilité d’accompagner les cérémonies Chamaniques), remplit son office.
L’allumage du Feu nécessite beaucoup de précautions et chaque Tradition « monte le Feu » selon une architecture précise.
Dans notre Tradition, une croix égalitaire est construite en fondation. Elle est composée de neuf bûches solides dans sa verticale, et entourée de trois bûches par la droite et par la gauche dans son horizontale. Le tout formant une formidable croix Celtique égalitaire.
Par la suite, le Feu est bâti sur un multiple de trois, six et neuf bûches qui forment sa super structure. Le Feu forme un cône majestueux prêt à s’enflammer. Le gardien attentif dirige ses nombreux assistants, offrant des feuilles de tabac en remerciement. La conscience qui est mise dans le montage d’un Feu présage de la qualité de la cérémonie.
Le silence qui baigne cette préparation illustre l’importance de l’action entreprise. Le Feu devient l’axe du Monde qui prend sa force dans le bois (le végétal, qui lui-même ancre ses racines dans la Mère Terre). Les flammes, comme des danseuses en extase, montent vers le Ciel et projettent vers les étoiles des pétales embrasés de lumières oranges, rouges, jaunes et blanches.
Le Feu a donc pour mission dans le Monde du milieu, celui de la Création, de purifier et de réduire en cendres ce qui n’a plus d’utilité. Cette fonction symbolique et pourtant réelle, illustre la puissance du troisième élément.
Le Feu assis sur la Terre, se nourrit de l’élément Air qui vient tournoyer avec les flammes. L’Air et le Feu dansent ensemble, s’attisent, se calment, se dévorent, s’aiment et se combattent selon les instants magiques de la cérémonie.
La Tradition Celte n’oppose jamais les éléments et quand un Déo souffle la flamme d’une bougie, il remercie le peuple du Feu qui fait l’amour avec le peuple de l’Air. Cette union tantrique a pour conséquence d’apaiser les contraires et de laisser la place à la paix et l’harmonie. La flamme éteinte par l’Air est la tranquillité d’après l’acte d’amour. Les éléments, après s’être étreints, s’apaisent et se reposent.
Les cérémonies de marche sur le Feu
L’expérience est inouïe et concrétise les sensations décrites précédemment.
Je me souviens de ma première marche sur le Feu, où après une longue préparation, nécessaire pour éteindre mon mental, je marchais sur un long ruban de braises. Mon coeur s’ouvrait et j’avais l’impression de marcher sur une épaisse moquette de coton. Cet état de félicité et de bien-être est inoubliable. Bien sûr, mes pieds n’avaient aucune brûlure, ce qui demeure un mystère pour la science.
Cette cérémonie ne peut pas s’improviser et doit être dirigée par un Chaman compétent et dans un cadre traditionnel. Le Feu est un principe androgyne qui, au cours de la cérémonie, exprime le masculin qui nourrit et le féminin qui reçoit. Il mange et il nourrit. Le Feu peut détruire, mais régénère et alchimise. Grâce à lui, dans de telles cérémonies, l’impétrant renait de ces cendres.
Dans les danses autour du Feu, le danseur va offrir à ce dernier tout ce qu’il ne veut plus et les flammes qui bougent avec lui, vont illustrer la progression de sa guérison psychique ou émotionnelle. Le Feu est à son image fou ou calme, serein ou agité, il est le miroir de son âme.
J’étais dans la Cordillère des Andes, en Equateur, dans le pays d’Otavallo et je marchais avec empressement vers la maison d’un vieux Chaman. Il m’attendait pour diriger une cérémonie de purification Quetchoua. Le bâtiment était une sorte d’accumulation de vieux parpaings, coiffée de tôles rouillées. L’atmosphère était reposante et bienveillante et un Feu éclairait la pièce.
Une petite communauté de vieilles femmes et de jeunes hommes accompagnaient le rituel. On me demanda, après de longues préparations chantées, de me déshabiller. J’étais confiant, mais inquiet car un des assistants alluma une torche impressionnante et tout en chantant, soufflait le Feu sur mon corps. Je sentais le « cochon brûlé » car quelques poils s’étaient embrasés. Les chants redoublaient d’intensité. Le Feu grandissait à la fois inquiétant et rassurant.
La cérémonie dura le temps de toute une vie et quand elle fut interrompue, je n’étais plus qu’un « chamallow » tout mou. Je me sentais sans force et plus aucune tension dans mon corps ne subsistait. J’étais dans un bien-être rarement connu. Le Feu avait purifié tout ce qui devait l’être et j’étais délesté de mes scories.
Le Chaman put continuer son travail de guérison. Il fixait constamment la flamme d’une bougie qu’il avait au préalable passée sur tout mon corps et après m’avoir flagellé délicatement avec des herbes piquantes comme les orties, il chanta de concert avec la flamme de la bougie qui s’agitait. Son chant semblait être l’écho de ce que lui disait le Feu. Ce dernier « ce grand-homme-médecine » officiait et le Chaman lui obéissait, il était au service du grand Feu sacré.
Le Feu est donc une clé de voûte des pratiques Chamaniques
Les Celtes, le 21 juin, à l’occasion du Solstice d’été, franchissent le Feu en sautant à travers les flammes. Les vertus purificatrices et transformatrices de ces dernières permettent aux participants de renaître transformés.
La fête fut reprise, hélas dénaturée de son contenu, par les Chrétiens qui l’appelèrent le Feu de la Saint Jean. Les Chrétiens ont d’ailleurs beaucoup assimilé le Feu à l’Enfer, ce dernier étant le gardien de la maison du Diable. On comprend leur crainte envers la puissance du Feu et l’obligation, pour eux, de faire courir la rumeur de son rôle démoniaque. La force du Feu est telle que celui qui se l’approprie, devient inatteignable et libre de toute emprise. On voit bien l’utilité de diaboliser le Feu afin qu’il ne puisse livrer ses secrets au plus grand nombre.
Mon Grand-Père me disait : « Va toujours où on te demande de ne pas aller, car il y aura sûrement un secret que personne ne doit connaître ».
En Bretagne, tous les lieux puissants de l ’Ancienne Sagesse ont été diabolisés… La Roche du Diable, l a M a r e a u x Sorcières, le Bois aux Esprits… Et cela pour éloigner les paroissiens des lieux de culte anciens. Le Feu n’a pas échappé à cette manipulation. Bien sûr, il n’est pas l’arme du Diable, mais au contraire la puissance manifestée du Ciel et de la Terre unifiés.
« Le feu androgyne est le sang des Esprits », me disait un vieux Chaman.
Le Feu est le gardien de toutes les cérémonies, bienveillant pour les adeptes respectueux et terrible pour les profanateurs.
Il est un rempart entre le Monde profane qui méprise les lois de l’univers et le Sacré qui honore ces dernières.