La peinture
La Peinture à l’Exposition Universelle de 1855
Paris, Dentu, 1855 (Réédité in Études d’art, Librairie des bibliophiles, 1893)
La peinture est-elle un livre ? La peinture est-elle une idée ? Est-elle une voix visible, une langue peinte de la pensée ? Parle-t-elle au cerveau ? Son but et son action doivent-ils être d’immatérialiser cela qu’elle fait de couleurs, d’empâtements et de glacis ? Sa préoccupation et sa gloire, de mépriser ses conditions de vie, le sens naturel dont elle vient, le sens naturel qui la perçoit ? La peinture est-elle, en un mot, un art spiritualiste ?
N’est-il pas plutôt dans ses destins et dans sa fortune de tenter les yeux, d’être l’animation matérielle d’un fait, la représentation sensible d’une chose, de ne pas aspirer beaucoup au-delà de la récréation du nerf optique ? La peinture n’est-elle pas plutôt un art matérialiste, vivifiant la forme par la couleur, incapable de vivifier par les intentions du dessin, le par-dedans, le moral et le spirituel de la créature ?
Autrement qu’est le peintre ? – Un esclave de la chimie, un homme de lettres aux ordres d’essences et de sucs colorants, qui a, pour toucher l’âme, du bitume et du blanc d’argent, de l’outremer et du vermillon.
Croit-on, au reste, que ce soit abaisser la peinture que de la réduire à son domaine propre, à ce domaine que lui ont conquis le génie de ces palettes immortelles : Véronèse, Titien, Rubens, Rembrandt ? grands peintres ! vrais peintres ! flamboyants évocateurs des seules choses évocables par le pinceau : le soleil et la chair ! ce soleil et cette chair que la nature refusa toujours aux peintres spiritualistes, comme si elle voulait les punir de la négliger et de la trahir !
Comme dans toutes choses humaines, l’équilibre n’est maintenu, dans les choses de l’art, que par la loi des contraires, la lutte et l’opposition des courants. – Soudain une armée s’est levée contre le sentimentalisme.
« Halte-là ! – crie la bande des enfants terribles du matérialisme ; – et que diable disputez-vous, Raphaël et Jordaens que vous êtes ? Votre casus belli est une question d’empâtement. Paix donc ! Saluez : je suis le monde nouveau ! Je ne suis ni une école, ni une église, ni une idée, ni une foi : je suis la Vérité ! J’ai défendu l’imagination à nos yeux, à nos crayons, à nos pinceaux : la Nature, c’est moi ! Vous lui prêtiez, vous la pariez : je la déshabille. Vous cherchiez : je rencontrais. Vous aviez des dédains, et vous autres des dégoûts : tout est, tout a le droit d’être. Je ne fais pas de tableaux, je les ramasse. La création est responsable de mes toiles. Vous étiez peintres : gloire à moi ! Je suis chambre noire ! »
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