Esprits parmi nous
Il ne faut pas perdre de vue que les Esprits constituent tout un monde, toute une population qui remplit l’espace, qui circule à nos côtés, qui se mêle à tout ce que nous faisons. Si le voile qui nous les dérobe venait à se lever, nous les verrions, autour de nous, aller, venir, nous suivre ou nous éviter selon le degré de leur sympathie ; les uns indifférents, véritables flâneurs du monde occulte, les autres très occupés, soit d’eux-mêmes, soit des hommes auxquels ils s’attachent, dans un but plus ou moins louable, selon les qualités qui les distinguent. Nous verrions en un mot la doublure du genre humain avec ses bonnes et ses mauvaises qualités, ses vertus et ses vices. Cet entourage, auquel nous ne pouvons échapper, car il n’est pas d’endroit si caché qu’il soit inaccessible aux Esprits, exerce sur nous et à notre insu une influence permanente ; les uns nous poussent au bien, les autres au mal, et nos déterminations sont bien souvent le résultat de leurs suggestions ; heureux quand on a assez de jugement pour discerner la bonne ou la mauvaise voie dans laquelle ils cherchent à nous entraîner. Puisque les Esprits ne sont autre chose que les hommes mêmes dépouillés de leur grossière enveloppe, que les âmes qui survivent au corps, il en résulte qu’il y a des Esprits depuis qu’il y a des êtres humains dans l’univers ; c’est une des puissances de la nature, et ils n’ont pas attendu qu’il y eût des médiums écrivains pour agir, et la preuve en est, c’est que, de tout temps, les hommes ont commis des inconséquences ; voilà pourquoi nous disons que leur influence est indépendante de la faculté d’écrire ; cette faculté est un moyen de connaître cette influence, de savoir quels sont ceux qui rôdent autour de nous, qui s’attachent à nous. Croire qu’on peut s’y soustraire en s’abstenant d’écrire, c’est faire comme les enfants qui croient échapper à un danger en se bouchant les yeux.
L’écriture, en nous révélant ceux que nous avons pour acolytes, pour amis ou pour ennemis, nous donne par cela même une arme pour combattre ces derniers, et nous devons en remercier Dieu ; à défaut de la vue pour reconnaître les Esprits, nous avons les communications écrites ; par là, ils révèlent ce qu’ils sont ; c’est pour nous un sens qui nous permet de les juger ; le repousser, c’est se complaire à rester aveugle, et vouloir demeurer exposé à la tromperie sans contrôle.
L’immixtion des mauvais Esprits dans les communications écrites n’est donc pas un danger du Spiritisme, puisque, s’il y danger, le danger existe sans cela, et qu’il est permanent ; voilà ce dont on ne saurait trop se persuader : c’est simplement une difficulté, mais dont il est aisé de triompher si l’on s’y prend convenablement.
On peut d’abord poser en principe que les mauvais Esprits ne vont que là où quelque chose les attire ; donc, quand ils se mêlent aux communications, c’est qu’ils trouvent des sympathies dans le milieu où ils se présentent, ou tout au moins des côtés faibles dont ils espèrent profiter ; en tout état de cause, c’est qu’ils ne trouvent pas une force morale suffisante pour les repousser. Parmi les causes qui les attirent, il faut placer en première ligne les imperfections morales de toute nature, parce que le mal sympathise toujours avec le mal ; en second lieu, la trop grande confiance avec laquelle on accueille leurs paroles. Lorsqu’une communication accuse une mauvaise origine, il serait illogique d’en inférer une parité nécessaire entre l’Esprit et les évocateurs ; on voit souvent les personnes les plus honorables exposées aux fourberies des Esprits trompeurs, comme on voit dans le monde des honnêtes gens trompés par des fripons ; mais lorsqu’on se tient sur ses gardes, les fripons n’ont que faire ; c’est ce qui arrive aussi avec les Esprits. Lorsqu’une personne honnête est trompée par eux, cela peut tenir à deux causes : la première est une confiance trop absolue qui la dissuade de tout examen ; la seconde, que les meilleures qualités n’excluent pas certains côtés faibles qui donnent prise aux mauvais Esprits, ardents à saisir les moindres défauts de cuirasse. Nous ne parlons pas de l’orgueil et de l’ambition, qui sont plus que des travers, mais d’une certaine faiblesse de caractère, et surtout des préjugés que ces Esprits savent habilement exploiter en les flattant, et, à cet égard, ils prennent tous les masques pour inspirer plus de confiance.
Extraits des revues spirites de 1858 à 1868
ALLAN KARDEC
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