Spiritualité 21è siècle
Nouveau siècle, spiritualité nouvelle ?
Pour assumer le patrimoine spirituel du vingtième siècle qui s’est éteint, Robert Besson nous invite à répondre à une question essentielle : Que sommes-nous capables de faire du siècle nouveau ? Sa réflexion nous permet de faire le point pour faire valoir notre part d’héritage à l’aube du nouveau siècle.
par Robert Besson
Les grands courants de l’histoire ne viennent pas se briser sur les frontières conventionnelles des siècles et des millénaires. L’an mil, objet de fantasmes et de terreurs, n’a pas inauguré, en Occident, une ère nouvelle de spiritualité mais vu se prolonger, au fil des siècles, à travers continuités et ruptures, recherches et débats, les voies ouvertes par les grands messages fondateurs, ici du christianisme, là de l’islam, ailleurs de l’hindouisme et du bouddhisme à quoi se sont ajoutées, à partir notamment du XVIIIe, des formes nouvelles de spiritualités en marge des religions instituées. Il n’en est pas moins vrai que chaque grande période historique apparaît, avec le recul, marquée par des caractères dominants qui la distinguent des autres. Et des esprits lucides s’interrogeaient déjà au début des années 1900 : « Que sommes-nous capables de faire du siècle nouveau ? »
Que faire du siècle nouveau ?
A nous de reprendre, à l’aube des années 2000, cette interrogation majeure. Mais en précisant d’emblée deux points. Le champ de notre recherche, d’abord : à travers toutes les dimensions, souvent étroitement dépendantes, du phénomène humain, nous n’examinerons ici que la dimension spirituelle. Notre problématique, ensuite : est-ce de « faire » qu’il s’agit, terme qui paraît remettre à la seule initiative de l’homme le façonnement du visage spirituel du XXIe siècle, ou s’agirait-il plutôt de « recevoir l’héritage du XXe siècle, de l’assimiler, de l’assumer ?
C’est dire qu’il nous faut, préalablement, nous interroger. D’une part qu’entendons-nous par spiritualité, puisque c’est elle que nous prenons en compte ? D’autre part, est-ce d’un héritage de croyances, d’images et d’institutions qu’il nous faut prendre possession, ou d’une inspiration créatrice, source vivante de toutes les spiritualités, qu’il nous appartient de réanimer à notre souffle ? Ceci fait, nous serons alors en droit d’examiner les caractères prévisibles de la spiritualité du XXIe siècle. La spiritualité, c’est à dire ?
La spiritualité est adhésion vécue à des significations, des émotions et de valeurs qui ne relèvent pas seulement de l’utilitaire et du rationnel. Elle donne à l’âme un espace où vivre, elle anime en nous un foyer de vie intérieure qui peut vivifier la relation à soi-même, aux autres et au monde. Certains la tiennent pour essentiellement religieuse à tort, sans doute. Car elle est présente à l’émerveillement devant le monde, à la tendresse, à l’art, à la poésie, à la méditation contemplative, à l’oubli de soi dans l’action désintéressée à C’est dire qu’elle n’est pas nécessairement religieuse au sens confessionnel du mot mais qu’elle peut s’épanouir tout entière en marge des appartenances confessionnelles et des rites. Elle relève d’une dimension fondamentale de l’âme humaine, en amont de toute catégorie culturelle et de toute option métaphysique. Un agnostique peut être un homme de recherche spirituelle et de spiritualité.
Dans le labyrinthe de l’existence
En un sens, la spiritualité est éveil à des intuitions et des émotions essentielles qui nous viennent par d’autres voies que les vérité empiriques ou scientifiques. Et dans le labyrinthe de nos existences, peut-être avons-nous davantage besoin, au quotidien, de nourritures psychiques vivifiantes que de certitudes intellectuelles, toujours fragiles. Les unes nous donnent à « vivre » ; les autres ; vérités scientifiques et philosophiques, légitimes et nécessaires, elles aussi, nous donnent à comprendre et à connaître. Et il est vrai que les grandes religions de l’humanité ont été des centres puissants de diffusion d’une spiritualité nourrie de croyances, d’images et d’émotions mystiques, et tournées vers un absolu transcendant. Toute la part affective et intuitive de l’homme y puisait des nourritures essentielles. Mais d’autres expériences humaines relèvent aussi d’une spiritualité authentique et forte, même si elle n’est pas explicitement formulée comme telle : richesse émotionnelle qui peut illuminer l’âme de chacun, sentiment de notre appartenance quasi fusionnelle au tout, révélation d’une présence et d’une richesse sensorielle des choses immédiates qui se dérobaient au regard utilitaire, dévoilement d’un sens caché de nos vies, ferveur créatrice, exigence ressentie d’une transformation graduelle de soi vers plus de sérénité et de chaleur humaine, capacité de sacrifier sa vie pour une cause désintéressée
Ainsi la spiritualité, quelles que soient les sources où elle puisent, alimente une vie de l’esprit plus riche et plus forte qui fait contrepoids aux nécessités de l’action dans le monde et lui apporte une assise intérieure, un point d’appui, une poussée de sève.
Héritage spirituel ou inspiration créatrice ?
En fait, hériter spirituellement ce n’est pas seulement recevoir, conserver pieusement et transmettre à son tour. Les idées sont portées par le mouvement de la vie qui continue à les façonner comme le mouvement de la mer façonne les galets. Hériter, c’est donc assumer, expérimenter, faire sien, ployer à la courbure des besoins de son temps, refonder à neuf pour soi-même à la lumière d’une expérience intérieure qui vise, précisément, à retrouver l’élan et l’inspiration des grands créateurs spirituels. Assumer ainsi le patrimoine spirituel reçu, c’est faire valoir notre part d’héritage, à travers semences et labours, comme le paysan fait fructifier le lopin de terre reçu de ses ancêtres. Comment ? D’abord en explorant avec ferveur les richesses spirituelles léguées par le passé. Et c’est déjà une aventure exaltante pour l’esprit mais qui réclame un effort personnel. Peut-être aussi en privilégiant dans cet héritage certaines vérités humaines capitales qui font écho à nos propres intuitions, les éclairent et les confirment. Peut-être encore en nous inspirant de certaines démarches spirituelles élaborées par telle ou telle tradition qui peuvent nous aider à cheminer à notre tour sur la voie de la sagesse et de l’expérience profonde, ou même en découvrant certaine figures spirituelles du passé qui, par leur rayonnement et leur force d’exemplarité, peuvent vivifier en nous les forces de l’esprit.
Quelle spiritualité pour le XXIe siècle ?
Poser cette question, c’est d’abord tenir pour évident que la spiritualité est une dimension nécessaire et permanente de notre civilisation. C’est aussi s’interroger, à la fois en historien et en sociologue, d’une part sur les courants spirituels du XXe siècle qui semblent porteurs d’avenir, et d’autre part sur les tendances et les besoins de l’esprit contemporain que toute spiritualité doit prendre en compte. Vaste perspective qui déborde largement les dimensions de cet article ! Nous ne pouvons, ici, qu’ébaucher quelques vues bien simplificatrices.
Il est clair, par exemple, qu’une spiritualité ouverte et en accord avec notre temps ne peut tourner le dos à l’esprit scientifique ni refuser de prendre en compte les acquis de l’investigation de la science. Elle ne saurait, non plus, condamner l’action nécessaire pour l’édification d’un monde meilleur. Mais à l’opposé, dans un univers menacé par un rationalisme excessif et le vertige qui saisit bien des esprits, fascinés par des progrès techniques spectaculaires, il est urgent d’affirmer avec force le droit d’expression de l’affectivité, de l’intuition et des valeurs qui en découlent. Urgent aussi, contre les urgences illusoires engendrées par la civilisation de la rentabilité et du profit, de rappeler sans cesse la légitimité de la vie intérieure, du recueillement et du silence contemplatif.
La spiritualité du XXIe
Il apparaît également évident que le XXIe doit en finir avec toutes les spiritualités déshumanisantes. Lesquelles ? Celles qui cherchent à subordonner l’individu à un groupe de pression ou à un maître à penser, créant ainsi une dépendance psychique dépersonnalisante. Celles qui se retranchent dans une citadelle de dogmes et jettent l’anathème sur les autres courants spirituels taxés d’hérésie ou d’aberration. Celles qui entendent exercer une mainmise sur l’esprit public. Celles qui se défient du bonheur humain et ne voient de salut que dans l’ascétisme et la crucifixion du « moi ».
En somme, tout laisse à penser que la spiritualité du XXIe se reconnaîtra à certains traits déjà perceptibles :
1. Une spiritualité tolérante, ouverte et plurielle. Certains la vivront en s’appuyant sur les grandes traditions spirituelles qui gardent un avenir si le poids des dogmes et des institutions décroît au profit de l’expérience spirituelle profonde, celle de l’éveil de l’âme à sa richesse. Mais l’univers spirituel qui se prépare ne se réduira pas au religieux. Des expériences bouleversantes et durables peuvent, à l’évidence, naître hors de lui et magnifier en secret une existence. L’homme peut découvrir une spiritualité dans le déploiement de ses actes lorsqu’il s’éprouve relié aux autres, participant à un projet désintéressé qui le dépasse et donne un sens à sa vie.
2. Une spiritualité porteuse de sagesse et d’équilibre humain. En un sens, toute spiritualité authentique est génératrice de sérénité, de force et de joie. Toute spiritualité apporte à l’homme un surcroît d’être et de vie. Toute spiritualité doit ouvrir l’homme à l’homme et au monde. Et l’être spirituel est un individu mobilisé dans un processus de transformation de soi qui lui donne à vivre des relations plus riches, plus fortes et plus chaleureuses avec lui-même, avec les autres et avec le monde où il habite.
3. Une spiritualité qui ne soit pas un discours sur le spirituel mais un vécu capable d’illuminer du dedans la vie de chacun. La spiritualité est projet, pratique de la vie, exercice de soi. Il ne s’agit donc plus de prêcher des vérités toutes faites mais d’ouvrir des chemins sur lesquels chacun pourra aller à la découverte expérimentale des vérités humaines dont il a besoin. Et c’est pourquoi le XXIe aura, sans doute, plus besoin de formateurs à l’expérience spirituelle que de maîtres à penser ou de prophètes.
L’héritage du XXe siècle est ainsi pris en charge par chaque individu selon des modalités qui lui sont propres. Notons encore que cet héritage, dans sa vivante diversité, est multiple, parfois contradictoire, et que par là même, il oblige au choix, à l’analyse critique, à l’appropriation active et sélective. Mais il est visiblement marqué par le naufrage des dogmes et des grandes idéologies messianiques et, sur ce point, déjà, c’est un enseignement essentiel qu’il nous transmet.
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